L'un des membres du groupe dépité par cette supériorité spirituelle s'est avancé et lui a donné un coup de fouet en plein visage.
Quelques chrétiens ont protesté, les porteurs de l'ordre de Gallion ont répondu avec rudesse, mais le prisonnier, sans démontrer la moindre révolte, a clamé à voix haute :
Frères, réjouissons-nous en le Christ Jésus. Restons calmes et joyeux parce que le Seigneur nous a jugé dignes !...
Une grande sérénité se fit alors dans l'assemblée. Plusieurs femmes pleuraient tout bas. Aquiles et sa femme ont adressé à l'apôtre un inoubliable regard et la petite caravane s'est dirigée vers la prison dans l'ombre de la nuit. Jeté au fond d'un cachot humide, Paul fut attaché au tronc du supplice et dut supporter la flagellation des trente-neuf coups de fouet.
Lui-même était surpris. Une paix sublime baignait son cœur de douces consolations. Bien que se sentant seul entouré de cruels persécuteurs, il ressentait une nouvelle confiance en Jésus. Dans ces conditions, les flagellations impitoyables ne lui faisaient pas mal et c'était en vain que les bourreaux cherchaient à torturer son esprit ardent avec des insultes et des railleries. Dans l'épreuve dure et pénible, il comprit joyeusement qu'il avait atteint la région de la paix divine du monde intérieur que Dieu accorde à ses fils après les luttes acerbes et incessantes supportées à la conquête d'eux-mêmes. D'autres fois, l'amour pour la justice l'avait conduit à des situations passionnées, à des désirs mal contenus, à d'âpres polémiques ; mais là, à affronter les coups de fouet qui tombaient sur ses épaules à demi nues, ouvrant des sillons sanglants dans un souvenir plus vif du Christ, il avait l'impression d'arriver à ses bras miséricordieux après des randonnées terribles et amères depuis l'heure où il était tombé aux portes de Damas sous une tempête de larmes et de ténèbres. Plongé dans ces pensées sublimes, Paul de Tarse vécut alors sa première grande extase. Il n'entendait plus les sarcasmes des bourreaux inflexibles, il sentait que son âme se dilatait à l'infini, vivait des émotions sacrées d'un indéfinissable bonheur. Un délicieux sommeil anesthésia son cœur et ce ne fut qu'à l'aube qu'il revint à lui de son doux repos. Le soleil lui rendait visite, joyeux, à travers les barreaux. Le valeureux disciple de l'Évangile s'est relevé frais et dispos, réajusta ses vêtements et attendit patiemment.
Ce ne fut qu'après midi que trois soldats sont descendus au cachot des disciplines judaïques, retirer le prisonnier pour le conduire en présence du proconsul.
Paul a comparu à la barre du tribunal empreint d'une immense sérénité. L'enceinte était pleine d'Israélites exaltés, mais l'apôtre a remarqué que l'assemblée se composait en majorité de Grecs à la physionomie sympathique, beaucoup parmi eux étaient des connaissances personnelles des travaux d'assistance réalisés dans l'église.
Conscient de sa position, Junius Gallion s'est assis sous le regard anxieux des spectateurs pleins d'intérêt.
Conformément à la coutume, le proconmi! devait entendre les parties en litige avant de prononcer tout jugement, en dépit des plaintes et de« accuNtUlon» enregistrées.
L'un des personnages les plus éminents de la synagogue, du nom de Sosthène, s'exprimerait au nom des juifs ; mais comme le représentant de l'église de Corlnlhr n'apparaissait pas pour la défense de l'apôtre, l'autorité demanda l'exécution immédiate de la sentence. Très surpris, Paul de Tarse suppliait intimement Jésus d'être If protecteur de sa cause quand s'est présenté un homme qui était disposé à se prononcer au nom de l'Église. C'était Titus Justus, le généreux Romain qui ne dédaignait pas l'occasion du témoignage. Un fait inattendu survint à cette occasion. Les Grecs de l'assemblée éclatèrent en une tempête d'applaudis sements.
Junius Gallion demanda aux plaignants d'initier les déclarations publiques nécessaires.
Sosthène se mit à parler, soutenu de toute évidence par les juifs présents. Il accusait Paul de blasphémateur, de déserteur de la Loi, de sorcier. Il s'est rudement rapporté à son passé et raconta aussi que ses parents eux-mêmes l'avaient abandonné. Le proconsul écoutait attentif mais ne cessait de conserver une curieuse attitude. Sans prêter attention à la stupéfaction générale, il gardait son index de la main droite comprimé sur son oreille. Ceux qui appartenaient à la synagogue étaient en majorité déconcertés par ce geste. Pour finir son allocution aussi passionnée qu'injuste, Sosthène interrogea l'administrateur d'Achaïe concernant son attitude qui exigeait une clarification, afin de ne pas être prise pour de la déconsidération.
Très calmement, Gallion a répondu avec humour :