Dans mes luttes, jamais je ne me suis présumé victime, je me suis toujours considéré comme l'antagoniste du mal. Seul Jésus, dans sa pureté et son amour immaculés, pouvait alléguer la condition d'ange victime de notre funeste méchanceté. Quant à moi, même s'ils me lapident et me blessent, je jugerai toujours que c'est très peu par rapport aux souffrances qu'il m'appartient de supporter comme juste témoignage. Mais maintenant, Jacques, je dois te dire qu'un petit obstacle m'inquiète. Comme tu ne l'ignores pas, je n'ai jamais vécu que de mon travail de tisserand et, actuellement, je ne dispose pas d'argent qui puisse pourvoir aux dépenses en perspective... Ce serait la première fois que j'aurais à faire appel à la bourse d'un autre alors que la solution du problème dépend exclusivement de moi...
Ses propos dénonçaient un certain embarras allié à de la tristesse souvent ressentie dans les moments d'humiliation et de malheur. Devant cette expression de résignation, Jacques lui a pris la main dans un mouvement de grande spontanéité et l'a serrée en murmurant :
- Ne t'afflige pas de cela. Nous connaissons à Jérusalem l'extension de tes efforts personnels et il ne serait pas raisonnable que l'église se désintéresse de ces impositions injustifiées... Notre institution paiera toutes les dépenses. C'est déjà beaucoup que tu accepte ce sacrifice.
Pendant longtemps encore, ils ont parlé des problèmes relatifs à la propagande évangélique et, le lendemain, Paul et ses compagnons ont comparu à l'église de Jérusalem où ils furent reçus par Jacques accompagné de tous les anciens juifs sympathisants du Christ et partisans de Moïse réunis pour l'entendre.
La réunion a commencé par un rigoureux cérémonial alors que l'ex-rabbin percevait l'extension des influences pharisiennes dans l'institution qui se destinait à l'ensemencement lumineux du divin Maître. Ses compagnons, habitués à l'indépendance de l'Évangile, ne réussissaient pas à cacher leur étonnement, mais d'un geste significatif, le converti de Damas leur imposa le silence.
Invité à s'expliquer, l'ex-rabbin a lu un long rapport de ses activités auprès des gentils qui fut prononcé avec beaucoup de pondération et une indicible prudence.
Les juifs, qui semblaient définitivement installés dans l'église avaient conservé les vieilles attitudes des maîtres d'Israël. Par la parole de Cainan, ils donnèrent des conseils à l'ex- docteur et émirent des critiques. Ils alléguèrent qu'eux aussi étaient chrétiens mais observaient rigoureusement la Loi Antique. Ils ajoutèrent que Paul ne devrait pas travailler contre la circoncision et qu'il devrait donner plus largement satisfaction de ses actes.
L'ex-rabbin resta silencieux malgré son grand étonnement, et recevait ces objurgations et ces reproches avec une surprenante sérénité.
Finalement, Cainan a fait la proposition à laquelle Jacques s'était rapporté la veille. Afin de satisfaire l'exigence du Sanhédrin, le tisserand de Tarse devait se purifier au Temple avec quatre juifs très pauvres qui avaient fait des vœux de naziréat ; l'apôtre des gentils restait contraint à payer toutes les dépenses.
Les amis de Paul furent encore plus surpris quand ils le virent se lever au beau milieu de l'assemblée partiale et se dire immédiatement prêt à répondre à l'intimation.
Le représentant des anciens a encore prononcé un discours pédant et long sur les règles de la race que Paul écouta avec une patience béatifiante.
De retour chez Mnason, l'ex-rabbin voulut informer ses compagnons des raisons de son attitude. Habitués à respecter ses décisions en toute confiance, ils se sont dispensés de poser des questions peut-être superflues, mais ils désiraient accompagner l'apôtre au Temple de Jérusalem pour assister à son renoncement sincère, et pouvoir en témoigner pour l'avenir de l'évangélisme. Paul souligna l'utilité d'y aller seul, mais Trophime qui restait encore quelques jours à Jérusalem avant de retourner à Antioche, insista et obtint l'accord de l'apôtre.