Entendant ses paroles empreintes d'une mystérieuse beauté, Claude Lysias, le tribun romain qui l'avait arrêté, se mit à ressentir des sensations indéfinissables. À son tour, il avait reçu certains bienfaits de ce Christ incompris à qui se rapportait l'orateur dans des circonstances aussi amères. Pris de scrupules, il fit appeler le tribun Zelfos, d'origine égyptienne, qui avait acquis certains titres romains grâce à son immense fortune et lui demanda :
Ami - a-t-il dit d'une voix presque imperceptible -, je ne désire pas prendre ici de décision concernant cet homme. La foule est exaltée et il est possible qu'il se produise des événements très graves. Je souhaiterais ta coopération immédiate.
Sans aucun doute - a répondu l'autre, résolument.
Et tandis que Lysias examinait minutieusement la figure de l'apôtre qui parlait de manière impressionnante, Zelfos redoublait les dispositions opportunes prises dans l'enceinte. Il renforça la garnison de soldats, initia la formation d'un cordon d'isolement, cherchant à protéger l'orateur d'une attaque imprévisible.
Après un rapport détaillé de sa conversion, Paul de Tarse se mit à parler de la grandeur du Christ, des promesses de l'Évangile, et tandis qu'il commentait ses relations avec le monde spirituel dont il recevait les messages réconfortants du Maître, la foule inconsciente et furieuse s'agitait manifestant une révolte mesquine. Un grand nombre d'Israélites arrachaient son manteau faisant de la poussière dans une impulsion caractéristique d'ignorance et de méchanceté.
Le moment était très grave. Les plus exaltés essayaient de rompre le cordon des gardes pour assassiner le prisonnier. L'action de Zelfos fut rapide. Il ordonna de rentrer l'apôtre à l'intérieur de la tour Antonia. Et tandis que Claude Lysias retournait chez lui afin de méditer un peu sur la sublimité des concepts entendus, son compagnon de milice prit des mesures énergiques pour disperser la foule. Ils n'étaient pas rares ceux qui s'entêtaient à vociférer sur la voie publique. Le chef militaire a donc ordonné de disperser les récalcitrants à coups de pattes de cheval.
Conduit dans une cellule humide, Paul ressentit que les soldats le traitaient avec le plus grand mépris. Ses blessures lui faisaient terriblement mal. Il avait les jambes endolories et vacillantes. Sa tunique était imbibée de sang. Les gardes impitoyables et ironiques l'attachèrent à une épaisse colonne, lui attribuant le traitement destiné aux criminels ordinaires. Épuisé et fiévreux, l'apôtre se dit qu'il ne serait pas facile de résister à une nouvelle épreuve de martyre mais qu'il n'était pas juste de se livrer aux agissements pervers des soldats qui le gardaient. Il se souvint du Maître qui avait été immolé sur la croix sans résister à la cruauté des créatures, mais qui avait aussi affirmé que le Père ne désire pas la mort du pécheur. Il ne pouvait alimenter la vanité de se livrer comme Jésus, car il était le seul à avoir suffisamment d'amour pour se constituer Envoyé du Tout-Puissant, et comme il se reconnaissait pécheur converti à l'Évangile, il était juste de vouloir travailler jusqu'à son dernier jour sur terre pour les frères de l'humanité et dans l'intérêt de sa propre Illumination spirituelle. Il se souvint de la prudence que Pierre et Jacques avaient toujours témoignée pour que les tâches qui leur étaient confiées ne souffrent pas de préjudices injustifiables et constatant ses capacités de résistance physique limitées en cette heure inoubliable, il cria aux soldats :
Vous m'avez attaché à la colonne réservée aux criminels quand vous ne pouvez m'imputer aucune erreur !... Je vois, maintenant, que vous préparez des fouets pour la flagellation alors que je suis déjà baigné de sang suite au supplice imposé par la foule inconsciente...
Un peu ironique, l'un des gardes a cherché à lui couper la parole et proféra :
Voyez-vous ça !... Mais tu n'es pas un apôtre du Christ ? Il se trouve que ton Maître est mort sur la croix en se taisant et finalement, il a même demandé pardon pour ses bourreaux, alléguant qu'ils ignoraient ce qu'ils faisaient.
Les compagnons du plaisantin ont éclaté d'un rire strident. À la lueur de son regard, démontrant une grande noblesse de cœur, Paul de Tarse a répliqué sans hésiter :
Oui, entouré d'un peuple ignorant et inconscient, le jour du Calvaire, Jésus a demandé à Dieu de pardonner les ténèbres de l'esprit où était plongée la foule qui le porta à la poutre d'ignominie ; mais les agents du gouvernement impérial ne peuvent être la foule qui méconnaît ses propres actes. Les soldats de César doivent savoir ce qu'ils font car s'ils ignorent les lois qu'ils doivent exécuter pour recevoir leur solde, il vaut mieux qu'ils abandonnent leur poste.
Les gardes restèrent immobiles, pris d'étonnement. Paul, néanmoins, a continué d'une voix ferme :
Quant à moi, je vous demande : - Serait-il licite de battre un citoyen romain avant qu'il ne soit jugé ?