Sans perdre de temps, le gouverneur fit consigner la pétition de l'accusé pour donner suite à la procédure. Le lendemain, il s'est attardé à étudier le cas et fut l'objet d'une grande indécision. Il ne pouvait envoyer l'accusé à la capitale de l'Empire, sans justifier les motifs de son emprisonnement pendant si longtemps dans la prison de Césarée. Comment procéder ? Quelques jours de plus s'écoulèrent. Hérode Agrippa et Bérénice vinrent saluer le nouveau gouverneur lors d'une visite officielle et inattendue. Le préposé impérial ne put dissimuler les inquiétudes qui l'absorbaient, et après les solennités protocolaires dues à des hôtes aussi illustres, il raconta à Agrippa l'histoire de Paul de Tarse dont la personnalité enthousiasmait les plus indifférents. Le roi palestinien, qui connaissait la renommée de l'ex-rabbin, manifesta le désir de le voir de près, ce que Festus accepta volontiers, heureux de pouvoir satisfaire son généreux hôte, mais aussi dans l'espoir d'impressions utiles à l'illustration du procès de l'apôtre qu'il était chargé d'envoyer à Rome.
Portius donna à cet acte un caractère de fête. Il invita les personnalités les plus éminentes de Césarée, rassemblant une brillante assemblée autour du roi, le meilleur et le plus vaste auditoire de la cour provinciale. D'abord il y eut des ballets et de la musique, puis dûment escorté, le converti de Damas fut présenté au gouverneur lui-même en des termes discrets mais cordiaux et sincères.
Immédiatement, Hérode Agrippa fut vivement impressionné par l'aspect fatigué et maigre de l'apôtre dont les yeux calmes traduisaient l'énergie inébranlable de sa race. Curieux de mieux le connaître, il lui demanda de se défendre de vive voix.
Paul comprit la profonde signification de cette minute et se mit à raconter les différentes étapes de son existence avec une grande érudition et sincérité. Le roi l'écoutait éberlué. L'ex-rabbin évoqua son enfance, leur parla des souvenirs de sa jeunesse, puis il leur expliqua son aversion aux partisans du Christ Jésus et, exubérant d'inspiration, il retraça le tableau de sa rencontre avec le Maître ressuscité aux portes de Damas, en pleine lumière du jour. Ensuite, il poursuivit en énumérant les faits relatifs à l'œuvre des gentils, les persécutions souffertes de toute part par amour pour l'Évangile, concluant avec véhémence que, sans l'ombre d'un doute, ses prédications ne contrariaient pas, mais plutôt corroboraient les prophéties de la Loi Antique depuis Moïse.
Laissant libre cours à son imagination ardente et fertile, les yeux de l'orateur jubilaient d'éclats. L'assemblée aristocratique éminemment impressionnée par les faits rapportés manifesta son enthousiasme et sa joie. Hérode Agrippa, très pâle, avait l'impression d'avoir rencontré l'une des plus profondes voix de la révélation divine. Portius Festus ne cachait pas la surprise qui assaillait soudainement son esprit. Il n'avait pas présumé trouver chez le prisonnier de si grandes facultés de foi et de persuasion. En entendant l'apôtre décrire les scènes les plus belles de son apostolat, les yeux pleins de joie et de lumière, transmettant à l'auditoire attentif et ému des idées imprévisibles et singulières, le gouverneur se dit qu'il s'agissait d'un fou sublime et lui fit, à voix haute, au beau milieu d'une plus longue pause :
Paul, tu es devenu fou ! Tes grandes connaissances te font délirer !...
Loin de s'intimider, l'ex-rabbin a répondu noblement :
Vous vous trompez ! Je ne suis pas fou ! Devant votre autorité de Romain illustre, je n'oserais pas parler de cette manière, même si je reconnais que vous n'êtes pas dûment préparé à m'entendre. Les patriciens d'Auguste sont aussi de Jésus-Christ, mais ils ne connaissent pas encore complètement le Sauveur. À chacun, nous devons parler conformément à sa capacité d'entendement spirituel. Ici, néanmoins, Seigneur gouverneur, si je parle avec audace c'est parce que je me dirige à un roi qui n'ignore pas le sens de mes paroles. Hérode Agrippa aura entendu parler de Moïse depuis l'enfance. C'est un romain de culture, mais il s'est nourri de la révélation du Dieu de ses ancêtres. Aucune de mes affirmations ne peut lui être inconnue. De plus, il trahirait son origine sacrée car tous les fils de la nation qui ont accepté le Dieu unique doivent connaître la révélation de Moïse et des prophètes. Ne croyez-vous pas, roi Agrippa ?
La question causa un énorme étonnement. L'administrateur provincial lui-même n'aurait pas eu le courage de s'adresser au roi avec tant de désinvolture. L'illustre descendant d'Antipas était grandement surpris. Une extrême pâleur couvrait son visage. Personne ne lui avait jamais parlé de cette manière de toute sa vie.
Percevant son attitude mentale, Paul de Tarse a complété sa puissante argumentation en ajoutant :
Je sais que vous le croyez !...