Confus par l'aisance de l'orateur, Agrippa a agité son front comme s'il désirait expulser quelque idée inopportune ; il a esquissé un vague sourire et laissa comprendre qu'il était maître de lui-même, puis dit sur un ton de plaisanterie :
Et bien ça alors ! Pour peu, tu m'aurais persuadé de faire une profession de foi chrétienne...
L'apôtre ne se considéra pas vaincu pour autant et répondit :
J'espère sincèrement que vous deveniez disciple de Jésus ; non seulement vous, mais tous ceux qui nous ont entendu aujourd'hui.
Portius Festus a compris que le roi était beaucoup plus impressionné qu'il ne l'avait supposé et désireux de changer d'ambiance, il proposa que les hautes personnalités se retirent pour la collation de l'après-midi dans le palais. L'ex-rabbin fut reconduit en prison laissant aux auditeurs une inoubliable impression. Sensible, Bérénice fut la première à se manifester réclamant la clémence pour le prisonnier. Les autres suivirent le même courant de sympathie spontanée. Hérode Agrippa chercha une formule suffisamment digne pour que l'apôtre soit rendu à la liberté. Mais le gouverneur lui expliqua que connaissant la fibre morale de Paul, il avait sérieusement pris la décision de faire appel à César et que les premières instructions le concernant étaient déjà enregistrées. Respectueux des lois romaines, il s'opposait à la suggestion, bien que demandant l'aide intellectuelle du roi pour la lettre de justification avec laquelle l'accusé allait se présenter à l'autorité compétente dans la capitale de l'Empire. Désireux de conserver sa tranquillité politique, le descendant des Hérode n'avança aucun nouveau commentaire, il déplora seulement que le prisonnier ait déjà fait appel en dernière instance. Il chercha alors à coopérer à la rédaction du document et afficha son opposition au prédicateur de l'Évangile par le fait d'avoir suscité plusieurs luttes religieuses dans la couche populaire en désaccord avec l'unité de foi visée par le Sanhédrin, bastion de défense des traditions judaïques. À cet effet, le roi en personne avait signé le document en tant que témoin, donnant une plus grande importance aux allégations du préposé impérial. Extrêmement satisfait, Portius Festus prit note de ce soutien. Le problème était résolu et Paul de Tarse pouvait intégrer le premier groupe de condamnés à partir pour Rome.
Inutile de dire qu'il reçut la nouvelle avec sérénité. Après s'être mis d'accord avec Luc, il demanda que l'église de Jérusalem en soit informée, ainsi que celle de Sidon où le navire recevrait certainement son chargement et les passagers. Tous les amis de Césarée furent mobilisés à la tâche des émouvants messages que l'ex-rabbin adressait aux églises qui lui étaient chères, sauf Timothée, Luc et Aristarque qui se préparaient à l'accompagner à la capitale de l'Empire.
Les jours passèrent rapidement jusqu'au moment où le centurion Jules vint chercher les prisonniers avec son escorte, en partance pour ce voyage agité. Le centurion avait tous pouvoirs pour décider des mesures à prendre et immédiatement il éprouva de la sympathie pour l'apôtre, il ordonna qu'il soit conduit au bateau sans chaînes contrairement aux autres prisonniers.
Le tisserand de Tarse, qui se soutenait au bras de Luc, revit calmement le tableau clair et bruyant des rues, caressant l'espoir d'une vie plus élevée où les hommes pourraient jouir de fraternité au nom du Seigneur Jésus. Son cœur était plongé dans de douces réflexions et de brûlantes prières, quand il fut surpris par la foule compacte qui s'oppressait et s'agitait sur la grande place en bord de mer.
Des files de vieux, de jeunes et d'enfants se sont rassemblés près de lui, à quelques mètres de la plage. Devant eux, il y avait Jacques affaibli et vieilli qui était venu de Jérusalem avec grands sacrifices lui apporter un baiser fraternel. Le brûlant défenseur des gentils ne réussit pas à dominer son émotion. Des bandes d'enfants lui lancèrent des fleurs. Reconnaissant la noblesse de cet Esprit héroïque, le fils d'Alphée lui a pris la dextre et l'a baisée avec effusion. Tous les chrétiens de Jérusalem capables de faire le voyage se trouvaient là. Les confrères de Joppé, Lydde, Antipatris, étaient tous venus de toutes parts de la province. Les enfants des gentils se joignaient aux petits juifs qui saluaient affectueusement l'apôtre prisonnier. Des vieillards infirmes s'approchaient respectueusement et s'exclamaient :
Vous ne devriez pas partir !...
Des femmes humbles remerciaient les bienfaits reçus de ses mains. Des malades guéris faisaient des commentaires sur l'ensemble des travaux qu'il avait suggéré et aidé à fonder dans l'église de Jérusalem et proclamaient leur gratitude à voix haute. Les gentils, convertis à la l'Évangile, lui baisaient les mains en murmurant :
Qui nous enseignera désormais à être les fils du Très-Haut ?
Des garçons aimants tiraient sa tunique sous le regard de leurs mères consternées.