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L'esprit que l'on considère comme «contre-révolutionnaire» aujourd'hui, c'est ce même esprit révolutionnaire, ce ferment qui d'abord fit éclater les douves à demi-pourries du vieux monde tzariste. On aimerait pouvoir penser qu'un débordant amour des hommes, ou tout au moins un impérieux besoin de justice, emplit les coeurs. Mais une fois la révolution accomplie, triomphante, stabilisée, il n'est plus question de cela, et de tels sentiments, qui d'abord animaient les premiers révolutionnaires, deviennent encombrants, gênants, comme ce qui a cessé de servir. Je les compare, ces sentiments, à ces étais grâce auxquels on élève une arche, mais qu'on enlève après que la clef de voûte est posée. Maintenant que la révolution a triomphé, maintenant qu'elle se stabilise, et s'apprivoise; qu'elle pactise, et certains diront: s'assagit, ceux que ce ferment révolutionnaire anime encore et qui considèrent comme compromissions toutes ces concessions successives, ceux-là gênent et sont honnis, supprimés. Alors ne vaudrait-il pas mieux, plutôt que de jouer sur les mots, reconnaître que l'esprit révolutionnaire (et même simplement: l'esprit critique) n'est plus de mise, qu'il n'en faut plus? Ce que l'on demande à présent, c'est l'acceptation, le conformisme. Ce que l'on veut et exige, c'est une approbation de tout ce qui se fait en U.R.S.S.; ce que l'on cherche à obtenir, c'est que cette approbation ne soit pas résignée, mais sincère, mais enthousiaste même. Le plus étonnant, c'est qu'on y parvient. D'autre part, la moindre protestation, la moindre critique est passible des pires peines, et du reste aussitôt étouffée. Et je doute qu'en aucun autre pays aujourd'hui, fût-ce sans l'Allemagne de Hitler, l'esprit soit moins libre, plus courbé, plus craintif (terrorisé), plus vassalisé.


IV


Dans cette usine de raffinerie de pétrole, aux environs de Soukhoum, où tout nous paraît si remarquable: le réfectoire, les logements des ouvriers, leur club (quant à l'usine même, je n'y entends rien et admire de confiance) nous nous approchons du «Journal Mural», affiché selon l'usage dans une salle de club. Nous n'avons pas le temps de lire tous les articles, mais, à la rubrique «Secours rouge» où, en principe, se trouvent les renseignements étrangers, nous nous étonnons de ne voir aucune allusion à l'Espagne dont les nouvelles depuis quelques jours ne laissent pas de nous inquiéter. Nous ne cachons pas notre surprise un peu attristée. Il s'ensuit une légère gêne. On nous remercie de la remarque: il en sera certainement tenu compte.

Le même soir, banquet. Toasts nombreux selon l'usage. Et quand on a bu à la santé de tous et de chacun des convives, Jef Last se lève et, en russe, propose de vider un verre au triomphe du Front rouge espagnol. On applaudit chaleureusement, encore qu'avec une certaine gêne, nous semble-t-il; et aussitôt, comme en réponse: toast à Staline. A mon tour, je lève mon verre pour les prisonniers politiques d'Allemagne, de Yougoslavie, de Hongrie... On applaudit, avec un enthousiasme franc cette fois; on trinque, on boit. Puis, de nouveau, sitôt après: toast à Staline. C'est aussi que sur les victimes du fascisme, en Allemagne et ailleurs, l'on savait quelle attitude avoir. Pour ce qui est des troubles et de la lutte en Espagne, l'opinion générale et particulière attendait les directions de la Pravda

qui ne s'était pas encore prononcée. On n'osait pas se risquer avant de savoir ce qu'il fallait penser. Ce n'est que quelques jours plus tard (nous étions arrivés à Sébastopol) qu'une immense vague de sympathie, partie de la Place Rouge, vint déferler dans les journaux, et que, partout, des souscriptions volontaires pour le secours aux gouvernementaux s'organisèrent.


*      *      *      *      *


Dans le bureau de cette usine, un grand tableau symbolique nous avait frappés; on y voyait, au centre, Staline en train de parler; répartis à sa droite et à sa gauche, les membres du gouvernement applaudir.


*      *      *      *      *


L'effigie de Staline se rencontre partout, son nom est sur toutes les bouches, sa louange revient immanquablement dans tous les discours. Particulièrement en Géorgie, je n'ai pu entrer dans une chambre habitée, fût-ce la plus humble, la plus sordide, sans y remarquer un portrait de Staline accroché au mur, à l'endroit sans doute où se trouvait autrefois l'icone. Adoration, amour ou crainte, je ne sais; toujours et partout il est là.


*      *      *      *      *


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