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S'il doit répondre à un mot d'ordre, l'esprit peut bien sentir du moins qu'il n'est pas libre. Mais s'il est ainsi préformé qu'il n'attende même plus le mot d'ordre pour y répondre, l'esprit perd jusqu'à la conscience de son asservissement. Je crois que l'on étonnerait beaucoup de jeunes soviétiques, et qu'ils protesteraient, si l'on venait leur dire qu'ils ne pensent pas librement.

Et comme il advient toujours que nous ne reconnaissons qu'après les avoir perdus, la valeur de certains avantages, rien de tel qu'un séjour en U.R.S.S. (ou en Allemagne, il va sans dire) pour nous aider à apprécier l'inappréciable liberté de pensée dont nous jouissons encore en France, et dont nous abusons parfois.

A Léningrad, l'on m'avait demandé de préparer un petit discours à l'usage d'une assemblée de littérateurs et d'étudiants. Je n'étais en U.R.S.S. que depuis huit jours et cherchais à prendre le la. Je soumis donc à X... et à Y... mon texte. L'on me fit aussitôt comprendre que ce texte n'était ni dans la ligne, ni dans la note et que ce que je m'apprêtais à dire paraîtrait fort malséant. Eh parbleu! je m'en rendis nettement compte moi-même, par la suite. Du reste, ce discours, je n'eus pas l'occasion de le prononcer. Le voici :

«L'on m'a souvent demandé mon opinion sur la littérature actuelle de l'U.R.S.S. Je voudrais expliquer pourquoi j'ai refusé de me prononcer. Cela me permettra, du même coup, de préciser certain point du discours que j'ai lu sur la Place Rouge, au jour solennel des funérailles de Gorki. J'y parlais de «nouveaux problèmes» soulevés par le triomphe même des républiques soviétiques, problèmes dont je disais que ce ne serait pas une des moindres gloires de l'U.R.S.S. de les avoir fait naître à l'histoire et proposés à notre méditation. Comme l'avenir de la culture me semble étroitement lié à la solution qui pourra leur être donnée, il ne me parait pas inutile d'y revenir et d'apporter ici quelques précisions.


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»Le grand nombre, et même composé des éléments les meilleurs, n'applaudit jamais à ce qu'il y a de neuf, de virtuel, de déconcerté et de déconcertant, dans une oeuvre; mais seulement à ce qu'il y peut déjà reconnaître, c'est-à-dire la banalité. Tout comme il y avait des banalités bourgeoises, il y a des banalités révolutionnaires; il importe de s'en convaincre. Il importe de se persuader que ce qu'elle apporte de conforme à une doctrine, fût-elle la plus saine et la mieux établie, n'est jamais ce qui fait la valeur profonde d'une oeuvre d'art, ni ce qui lui permettra de durer; mais bien ce qu'elle apportera d'interrogations nouvelles, prévenant celles de l'avenir; et de réponses à des questions non encore posées. Je crains fort que quantité d'oeuvres, toutes imprégnées d'un pur esprit marxiste, à quoi elles doivent leur succès d'aujourd'hui, ne dégagent bientôt, au nez de ceux qui viendront, une insupportable odeur de clinique; et je crois que les oeuvres les plus valeureuses seront celles seules qui auront su se délivrer dé ces préoccupations-là.

»Du moment que la révolution triomphe, et s'instaure, et s'établit, l'art court un terrible danger, un danger presque aussi grand que celui que lui font courir les pires oppressions des fascismes: celui d'une orthodoxie. L'art qui se soumet à une orthodoxie, fût-elle celle de la plus saine des doctrines, est perdu. Il sombre dans le conformisme. Ce que la révolution triomphante peut et doit offrir à l'artiste, c'est avant tout la liberté. Sans elle, l'art perd signification et valeur.

»Walt Whitman à l'occasion de la mort du président Lincoln, écrivit un de ses plus beaux chants. Mais si ce libre chant eût été contraint, si Whitman avait été forcé de l'écrire par ordre et conformément à un canon admis, ce

thrène aurait perdu sa vertu, sa beauté; ou plutôt Whitman n'aurait pas pu l'écrire.

»Et comme, tout naturellement, l'assentiment du plus grand nombre, les applaudissements, le succès, les faveurs, vont à ce que le public peut aussitôt reconnaître et approuver, c'est-à-dire au conformisme, je me demande avec inquiétude si, peut-être, dans l'U.R.S.S. glorieuse d'aujourd'hui, ne végète pas, ignoré de la foule, quelque Baudelaire, quelque Keats ou quelque Rimbaud qui, en raison même de sa valeur, a du mal à se faire entendre. Et c'est pourtant celui-là entre tous qui m'importe, car ce sont les dédaignés de d'abord, les Rimbaud, les Keats, les Baudelaire les Stendhal même, qui paraîtront demain les plus grands 23

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VI


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