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— Je ne sais pas.

Elle s’est penchée pour me caresser le front, et puis elle s’est assise à côté de moi, par terre, le dos appuyé contre le lit, elle m’a serré fort dans ses bras et nous nous sommes embrassés longuement.

— Ne t’inquiète pas, je sais que tu vas prendre la bonne décision.

Il a fallu qu’elle finisse par me mettre gentiment dehors pour que je parte retrouver la rue des Voleurs, en laissant derrière moi la horde de clopeux intubés du parvis de l’hôpital.


Que ce soit la déréliction ou la violence, qu’importe. Bassam tournoyait, rongé par une lèpre de l’âme, une maladie de désespérance, abandonné — qu’avait-il pu faire ou voir là-bas en Orient, que s’était-il produit, quelle horreur l’avait détruit, je n’en sais rien ; s’agissait-il des coups de sabre à Tanger, des morts de Marrakech, de combats, d’exécutions sommaires dans un maquis afghan ou rien de tout cela, rien que la solitude et le silence de Dieu, cette absence de maître qui affole les chiens — j’avais l’impression qu’il m’appelait, qu’il me demandait quelque chose, que son regard me cherchait, qu’il voulait que je le guérisse, qu’il fallait empêcher la fin du monde, il fallait empêcher les flammes de monter, de tout envahir, et Bassam était un de ces oiseaux d’apocalypse qui tournent, comme Cruz regardait toute la journée ses vidéos de mort violente sur Internet, et je n’étais certain de rien, de rien à part de cet appel, cette force de la violence — cette question que posait Cruz en avalant devant moi son poison, en décidant d’en finir de la plus horrible manière, je croyais la retrouver dans le regard de Bassam. Cette volonté d’en finir. Parfois il faut agir, quand les flammes deviennent trop hautes, trop pressantes ; j’ai observé Bassam rentrer de la mosquée après la prière, dire deux mots, bonsoir Lakhdar mon frère, se jeter dans le canapé — Mounir s’est enfermé dans sa chambre ; j’ai échangé deux banalités avec Bassam avant de me réfugier dans mon réduit et de regarder des heures durant le cirque de la rue des Voleurs, tous ces gens qui tournaient dans la nuit.


Ses yeux étaient fermés.

J’ai caressé son crâne râpeux, j’ai pensé à Tanger, au Détroit, à la Diffusion de la Pensée coranique, au Café Hafa

, aux filles, à la mer, j’ai revu Tanger ruisseler sous la pluie, à l’automne, au printemps ; je nous ai imaginés marcher, arpenter la ville, de la falaise jusqu’à la plage ; j’ai parcouru notre enfance, notre adolescence, nous n’avions pas vécu bien longtemps.

Mounir est sorti de sa chambre deux heures plus tard, il a vu le corps, il a regardé son couteau ensanglanté par terre, horrifié, il criait mais je ne l’entendais pas ; je le voyais gesticuler, affolé ; il a rassemblé ses affaires en toute hâte, j’ai vu ses lèvres remuer, il m’a dit quelque chose que je n’ai pas compris et a pris ses jambes à son cou.

Je me suis endormi, sur le canapé, aux côtés du cadavre.

Dans l’après-midi j’ai appelé les flics de mon portable. J’ai donné l’adresse en souriant presque, 13 rue des Voleurs, quatrième gauche.

Dans la soirée, au commissariat, j’ai appris par sa mère que Judit avait été opérée, qu’elle était tirée d’affaire. Ça ne pouvait pas être une coïncidence.

Deux ou trois jours plus tard Núria est venue me voir au dépôt.

Elle m’a assuré que Judit me rendrait visite dès qu’elle sortirait de l’hôpital.

On m’a interrogé ; on a tissé, un à un, tous les fils de mon existence sur d’interminables papiers.

Le psychiatre m’a déclaré sain d’esprit.

Et quelques mois plus tard, une fois que le procureur a eu prononcé son long et lugubre réquisitoire où brillait la noirceur de la préméditation, après que mon avocate a eu plaidé, arguant que j’étais un enfant perdu, jeune, trop jeune pour passer vingt ans en prison, que j’avais cherché à défendre la société, que j’avais, disait-elle, mal lutté pour le bien

, ce qui méritait l’indulgence du jury, lorsque le président m’a demandé si je voulais ajouter quelque chose, contrairement aux conseils de ma défenseuse qui roulait des yeux furieux derrière ses lunettes je me suis levé ; j’ai regardé Judit dans le public, Judit plus belle que jamais malgré sa pâleur, un sourire d’encouragement inquiet sur les lèvres ; je me suis tourné vers les juges et j’ai dit posément, en espérant que ma voix ne tremble pas trop :

“Je ne suis pas un assassin, je suis plus que ça.

Je ne suis pas un Marocain, je ne suis pas un Français, je ne suis pas un Espagnol, je suis plus que ça.

Je ne suis pas un musulman, je suis plus que ça.

Faites de moi ce que vous voudrez.”


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Zone
Zone

LE POINT DE VUE DES ÉDITEURSPar une nuit décisive, un voyageur lourd de secrets prend le train de Milan pour Rome, muni d'un précieux viatique qu'il doit vendre le lendemain à un représentant du Vatican pour ensuite — si tout va bien — changer de vie. Quinze années d'activité comme agent de renseignements dans sa Zone (d'abord l'Algérie puis, progressivement, tout le Proche-Orient) ont livré à Francis Servain Mirkovic les noms et la mémoire de tous les acteurs de l'ombre (agitateurs et terroristes, marchands d'armes et trafiquants, commanditaires ou intermédiaires, cerveaux et exécutants, criminels de guerre en fuite…). Mais lui-même a accompli sa part de carnage lorsque la guerre en Croatie et en Bosnie l'a jeté dans le cycle enivrant de la violence.Trajet, réminiscences, aiguillages, aller-retour dans les arcanes de la colère des dieux. Zeus, Athéna aux yeux pers et Arès le furieux guident les souvenirs du passager de la nuit. Le train démarre et, avec lui, commence une immense phrase itérative, circulatoire et archéologique, qui explore l'espace-temps pour exhumer les tesselles de toutes les guerres méditerranéennes. Car peu à peu prend forme une fresque homérique où se mêlent bourreaux et victimes, héros et anonymes, peuples déportés ou génocidés, mercenaires et témoins, peintres et littérateurs, évangélistes et martyrs… Et aussi les Parques de sa vie intérieure : Intissar l'imaginaire, la paisible Marianne, la trop perspicace Stéphanie, la silencieuse Sashka…S'il fallait d'une image représenter la violence de tout un siècle, sans doute faudrait-il choisir un convoi, un transport d'armes, de troupes, d'hommes acheminés vers une œuvre de mort. Cinquante ans après La Modification de Michel Butor, le nouveau roman de Mathias Enard compose un palimpseste ferroviaire en vingt-quatre "chants" conduits d'un seul souffle et magistralement orchestrés, comme une Iliade de notre temps.Né en 1972, Mathias Enard a étudié le persan et l'arabe et fait de longs séjours au Moyen-Orient. Il vit à Barcelone. Il a publié deux romans chez Actes Sud : La Perfection du tir (2003) — Prix des cinq continents de la francophonie, 2004 — qui paraît en Babel, et Remonter l'Orénoque (2005). Ainsi que, chez Verticales, Bréviaire des artificiers (2007).

Матиас Энар

Современная русская и зарубежная проза
Rue des Voleurs
Rue des Voleurs

LE POINT DE VUE DES ÉDITEURSC'est un jeune Marocain de Tanger, un garçon sans histoire, un musulman passable, juste trop avide de liberté et d'épanouissement, dans une société peu libertaire. Au lycée, il a appris quelques bribes d'espagnol, assez de français pour se gaver de Série Noire. Il attend l'âge adulte en lorgnant les seins de sa cousine Meryem. C'est avec elle qu'il va "fauter", une fois et une seule. On les surprend : les coups pleuvent, le voici à la rue, sans foi ni loi.Commence alors une dérive qui l'amènera à servir les textes — et les morts — de manières inattendues, à confronter ses cauchemars au réel, à tutoyer l'amour et les projets d'exil.Dans Rue des Voleurs, roman à vif et sur le vif, l'auteur de Zone retrouve son territoire hypersensible à l'heure du Printemps arabe et des révoltes indignées. Tandis que la Méditerranée s'embrase, l'Europe vacille. Il faut toute la jeunesse, toute la naïveté, toute l'énergie du jeune Tangérois pour traverser sans rebrousser chemin le champ de bataille. Parcours d'un combattant sans cause, Rue des Voleurs est porté par le rêve d'improbables apaisements, dans un avenir d'avance confisqué, qu'éclairent pourtant la compagnie des livres, l'amour de l'écrit et l'affirmation d'un humanisme arabe.Mathias Énard est l'auteur de quatre romans chez Actes Sud : La Perfection du tir (2003, prix des Cinq Continents de la francophonie), Remonter l'Orénoque (2005 ; adapté au cinéma en 2012 par Marion Laine sous le titre À cœur ouvert avec Juliette Binoche et Edgar Ramirez), Zone (2008, prix Décembre 2008 ; prix du Livre Inter 2009) et Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants (2010, prix Goncourt des lycéens 2010).

Матиас Энар

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