Читаем Rue des Voleurs полностью

, les jours étaient longs et silencieux — Bassam suivait son rituel, sans rien dire, il attendait, il attendait un signe ou la fin du monde, comme j’attendais l’opération de Judit, qui s’annonçait plus longue et difficile que prévue ; le soir je sortais faire un tour avec Mounir dans l’humidité tiède de Barcelone qui rappelait celle de Tanger, celle de Tunis — nous laissions Bassam avec soulagement rue des Voleurs pour aller à notre petite terrasse un peu plus au sud, calle del Cid ; on y buvait des bières, bien planqués dans cette ruelle oubliée, et Mounir était d’un grand réconfort, il arrivait toujours à me faire marrer : malgré sa situation fragile, il conservait son sens de l’humour, son énergie, et il parvenait à m’en communiquer un peu, à me faire oublier tout ce que j’avais perdu, tout ce qui s’était brisé, malgré le monde autour de nous, l’Espagne qui s’enfonçait dans la crise, l’Europe qui se détruisait sous nos yeux et le Monde arabe qui ne sortait pas de ses contradictions. Mounir avait été soulagé par la victoire de la gauche aux élections présidentielles en France, il y voyait un espoir, il était optimiste, rien à faire, lui le petit voleur, le trafiquant il pensait que la Révolution était encore en marche, qu’elle n’avait pas été définitivement écrasée par la bêtise et l’aveuglement, et il riait, il riait des millions d’euros engloutis dans des banques ou dans des pays condamnés, il riait, il était confiant, tous ces malheurs n’étaient rien, sa misère à Paris, sa misère à Barcelone, il lui restait la force des pauvres et des révolutionnaires, il disait un jour Lakhdar, un jour je pourrai vivre décemment en Tunisie, plus besoin de Milan, de Paris ou de Barcelone, un jour tu verras, et moi qui n’avais pourtant jamais réellement voulu quitter Tanger, qui n’avais jamais vraiment partagé ces rêves d’émigration je lui répondais qu’on serait toujours mieux bien planqués dans le Raval, dans notre palais des ladres, à regarder le monde s’effondrer, , et ça l’a fait rigoler.


J’avais de plus en plus la conviction que l’Heure était proche ; que Bassam attendait un signal pour prendre sa part à la fin du monde — il disparaissait une grande partie de la journée, au rythme des prières ; il feignait d’être content lorsque je lui proposais d’aller faire un tour, de changer de quartier, de profiter un peu de la ville qui nous tendait les bras ; il réussissait à faire semblant une demi-heure, à s’extasier sur une ou deux filles et trois vitrines, puis il redevenait silencieux, happé par ses souvenirs, ses projets ou sa haine. Quand je le cuisinais il me regardait avec sa bonne tête de plouc, les yeux incrédules, comme s’il ne comprenait absolument pas à quoi je faisais allusion, et je me prenais à douter, je me disais que j’exagérais, que l’ambiance, la rue des Voleurs et la maladie de Judit commençaient à me taper sur le système, alors je me promettais de ne plus lui en reparler — jusqu’à ce que le soir vienne, qu’il disparaisse deux ou trois heures Dieu sait où en compagnie de ses potes pakistanais sortis de nulle part et rentre, muet, avec le regard perdu et vibrant de quelqu’un qui appelle, pour prendre la place de Mounir sur le canapé, et je retrouvais mes doutes et mes questions. Un jour j’avais remarqué qu’il était arrivé avec un sac en plastique, bizarre pour quelqu’un qui ne s’achetait jamais rien, qui ne possédait presque rien, à part quelques vêtements qu’il lavait à la main rituellement chaque soir avant de se coucher — j’ai jeté un coup d’œil lorsqu’il est allé pisser, l’emballage contenait quatre téléphones portables neufs d’un modèle très simple, je me souvenais du modus operandi de l’attentat de Marrakech, bien sûr je n’ai pas pu résister, je lui ai posé la question, il n’a pas eu l’air fâché que j’aie fouillé dans ses affaires, juste un peu lassé de mes soupçons, il m’a répondu très simplement c’est un petit trafic de mes potes d’en bas, si tu veux je peux t’en obtenir un gratos — le naturel de sa réponse m’a désarmé, alors je me suis tu.

J’étais sans doute en train de devenir fou, complètement paranoïaque.


Un jour je n’y tenais plus, j’en ai parlé avec Judit. Elle était toujours hospitalisée, l’opération était sans cesse repoussée : les coupes sombres dans son budget avaient contraint l’hôpital à fermer une partie des blocs opératoires — et il y avait toujours plus urgent qu’elle à opérer.

Núria n’était pas là, nous étions seuls tous les deux dans sa chambre ; elle était assise dans le fauteuil des visiteurs, et moi par terre à ses côtés. J’ai hésité longtemps, et je lui ai dit tu sais, je me demande si Bassam ne prépare pas quelque chose.

Elle s’est penchée vers moi.

— Quelque chose de dangereux, tu veux dire ?

— Oui, quelque chose comme Marrakech ou Tanger. Mais je n’en suis pas sûr. C’est juste une possibilité.

J’ai repensé au nouveau regard de Bassam, si vide, si perdu, si douloureux.

Judit a soupiré, on est restés silencieux comme ça un moment.

— Et qu’est-ce que tu vas faire ?

Перейти на страницу:

Все книги серии Domaine français

Zone
Zone

LE POINT DE VUE DES ÉDITEURSPar une nuit décisive, un voyageur lourd de secrets prend le train de Milan pour Rome, muni d'un précieux viatique qu'il doit vendre le lendemain à un représentant du Vatican pour ensuite — si tout va bien — changer de vie. Quinze années d'activité comme agent de renseignements dans sa Zone (d'abord l'Algérie puis, progressivement, tout le Proche-Orient) ont livré à Francis Servain Mirkovic les noms et la mémoire de tous les acteurs de l'ombre (agitateurs et terroristes, marchands d'armes et trafiquants, commanditaires ou intermédiaires, cerveaux et exécutants, criminels de guerre en fuite…). Mais lui-même a accompli sa part de carnage lorsque la guerre en Croatie et en Bosnie l'a jeté dans le cycle enivrant de la violence.Trajet, réminiscences, aiguillages, aller-retour dans les arcanes de la colère des dieux. Zeus, Athéna aux yeux pers et Arès le furieux guident les souvenirs du passager de la nuit. Le train démarre et, avec lui, commence une immense phrase itérative, circulatoire et archéologique, qui explore l'espace-temps pour exhumer les tesselles de toutes les guerres méditerranéennes. Car peu à peu prend forme une fresque homérique où se mêlent bourreaux et victimes, héros et anonymes, peuples déportés ou génocidés, mercenaires et témoins, peintres et littérateurs, évangélistes et martyrs… Et aussi les Parques de sa vie intérieure : Intissar l'imaginaire, la paisible Marianne, la trop perspicace Stéphanie, la silencieuse Sashka…S'il fallait d'une image représenter la violence de tout un siècle, sans doute faudrait-il choisir un convoi, un transport d'armes, de troupes, d'hommes acheminés vers une œuvre de mort. Cinquante ans après La Modification de Michel Butor, le nouveau roman de Mathias Enard compose un palimpseste ferroviaire en vingt-quatre "chants" conduits d'un seul souffle et magistralement orchestrés, comme une Iliade de notre temps.Né en 1972, Mathias Enard a étudié le persan et l'arabe et fait de longs séjours au Moyen-Orient. Il vit à Barcelone. Il a publié deux romans chez Actes Sud : La Perfection du tir (2003) — Prix des cinq continents de la francophonie, 2004 — qui paraît en Babel, et Remonter l'Orénoque (2005). Ainsi que, chez Verticales, Bréviaire des artificiers (2007).

Матиас Энар

Современная русская и зарубежная проза
Rue des Voleurs
Rue des Voleurs

LE POINT DE VUE DES ÉDITEURSC'est un jeune Marocain de Tanger, un garçon sans histoire, un musulman passable, juste trop avide de liberté et d'épanouissement, dans une société peu libertaire. Au lycée, il a appris quelques bribes d'espagnol, assez de français pour se gaver de Série Noire. Il attend l'âge adulte en lorgnant les seins de sa cousine Meryem. C'est avec elle qu'il va "fauter", une fois et une seule. On les surprend : les coups pleuvent, le voici à la rue, sans foi ni loi.Commence alors une dérive qui l'amènera à servir les textes — et les morts — de manières inattendues, à confronter ses cauchemars au réel, à tutoyer l'amour et les projets d'exil.Dans Rue des Voleurs, roman à vif et sur le vif, l'auteur de Zone retrouve son territoire hypersensible à l'heure du Printemps arabe et des révoltes indignées. Tandis que la Méditerranée s'embrase, l'Europe vacille. Il faut toute la jeunesse, toute la naïveté, toute l'énergie du jeune Tangérois pour traverser sans rebrousser chemin le champ de bataille. Parcours d'un combattant sans cause, Rue des Voleurs est porté par le rêve d'improbables apaisements, dans un avenir d'avance confisqué, qu'éclairent pourtant la compagnie des livres, l'amour de l'écrit et l'affirmation d'un humanisme arabe.Mathias Énard est l'auteur de quatre romans chez Actes Sud : La Perfection du tir (2003, prix des Cinq Continents de la francophonie), Remonter l'Orénoque (2005 ; adapté au cinéma en 2012 par Marion Laine sous le titre À cœur ouvert avec Juliette Binoche et Edgar Ramirez), Zone (2008, prix Décembre 2008 ; prix du Livre Inter 2009) et Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants (2010, prix Goncourt des lycéens 2010).

Матиас Энар

Современная русская и зарубежная проза

Похожие книги

Измена в новогоднюю ночь (СИ)
Измена в новогоднюю ночь (СИ)

"Все маски будут сброшены" – такое предсказание я получила в канун Нового года. Я посчитала это ерундой, но когда в новогоднюю ночь застала своего любимого в постели с лучшей подругой, поняла, насколько предсказание оказалось правдиво. Толкаю дверь в спальню и тут же замираю, забывая дышать. Всё как я мечтала. Огромная кровать, украшенная огоньками и сердечками, вокруг лепестки роз. Только среди этой красоты любимый прямо сейчас целует не меня. Мою подругу! Его руки жадно ласкают её обнажённое тело. В этот момент Таня распахивает глаза, и мы встречаемся с ней взглядами. Я пропадаю окончательно. Её наглая улыбка пронзает стрелой моё остановившееся сердце. На лице лучшей подруги я не вижу ни удивления, ни раскаяния. Наоборот, там триумф и победная улыбка.

Екатерина Янова

Проза / Современная русская и зарубежная проза / Самиздат, сетевая литература / Современная проза
Презумпция виновности
Презумпция виновности

Следователь по особо важным делам Генпрокуратуры Кряжин расследует чрезвычайное преступление. На первый взгляд ничего особенного – в городе Холмске убит профессор Головацкий. Но «важняк» хорошо знает, в чем причина гибели ученого, – изобретению Головацкого без преувеличения нет цены. Точнее, все-таки есть, но заоблачная, почти нереальная – сто миллионов долларов! Мимо такого куша не сможет пройти ни один охотник… Однако задача «важняка» не только в поиске убийц. Об истинной цели командировки Кряжина не догадывается никто из его команды, как местной, так и присланной из Москвы…

Андрей Георгиевич Дашков , Виталий Тролефф , Вячеслав Юрьевич Денисов , Лариса Григорьевна Матрос

Боевик / Детективы / Иронический детектив, дамский детективный роман / Современная русская и зарубежная проза / Ужасы / Боевики