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Le lendemain matin, c’est le ronronnement de l’hélicoptère qui m’a réveillé. Un hélicoptère qui tournait, assez bas, au-dessus du centre de Barcelone — on allait l’entendre pendant vingt-quatre heures. Nous nous étions couchés tard, avec nos conneries de bières, de filles et de football, on avait même fumé une paire de joints ensemble avant de dormir et du coup j’avais complètement oublié que c’était la grève générale. Idée bizarre, d’ailleurs, celle de la grève générale, prévue, organisée à date fixe et pour vingt-quatre heures seulement. Si le refus du travail a un poids, pensais-je du haut de mes vingt ans, c’est dans la durée, dans la menace de sa reconduction. Pas en Espagne. Ici les syndicats se battaient contre le pouvoir un seul jour un seul, et à coups de chiffres : leurs dirigeants voyaient la grève comme un succès

ou un
échec
non pas parce qu’ils avaient obtenu quoi que ce soit, ce qui aurait été une réelle réussite, mais lorsque tel pourcentage de grévistes était atteint. La grève a donc été un immense succès pour les syndicats (quatre-vingts pour cent de grévistes, des centaines de milliers de manifestants) mais aussi pour le gouvernement : il n’a pas eu à dévier d’un iota sa politique, et n’a même pas proposé de négocier, sur aucun point. J’ignore par ailleurs si cette idée était à l’ordre du jour. Le principe de la grève, c’était que personne n’aille travailler, que tout le monde manifeste, et voilà. On voyait bien que l’Espagne était au-delà de la politique, dans un monde d’après, où les dirigeants ne prenaient plus de gants avec personne, ils annonçaient juste la météo, comme le Roi de France au temps de Casanova : les amis, les caisses sont vides, aujourd’hui ce sont les fonctionnaires qui vont trinquer. Ils ont trop bien vécu pendant des années, leur heure a sonné. Demain, sale temps pour la santé. Orage sur l’école. Mettez vos enfants dans le privé. Les derniers employés de l’industrie lourde qui ne sont pas morts du cancer sont virés. Nous avons flexibilisé le marché de l’emploi, réformé les contrats. La période d’essai est portée à un an : si vous êtes mis à la porte au bout de trois cent soixante-quatre jours vous ne passez pas par la case indemnité de licenciement. Cette idée rétrograde de salaire minimum est profondément gauchiste et lie les mains des entrepreneurs qui voudraient créer des emplois, il faut l’abattre. Déjà le prix plancher de l’heure de travail est au niveau du Maroc, qui vient de le réviser à la hausse : c’est trop pour lutter efficacement contre la concurrence. Pour lutter contre la concurrence il nous faut des esclaves, des esclaves catholiques et contents de leur sort. Les mécontents ne devraient pas voter. Les mécontents sont de dangereux alternatifs et en tant que tels ils s’excluent de la démocratie, ils ne méritent que coups de matraque et arrestations de masse. La Conférence épiscopale espagnole recommande aux catholiques d’être parcimonieux en matière de fécondation, car une forte natalité en temps de crise augmente déraisonnablement les dépenses de l’État : Sa Sainteté le pape Benoît préconise toute une série de mesures œcuméniques comme la messe et la flagellation pour pallier le trop-plein de désir.

Toutes ces choses étaient dans les journaux, sur les chaînes de télévision ; j’ai même vu un jour un reportage affirmant que “les mains des Nègres, qui ne brillaient pas par la qualité de leur manucure, ne devaient pas dérouler une capote, car c’était dangereux, ils risquaient de la crever, et que pour cette raison le pape avait interdit aux Noirs d’utiliser des préservatifs ; en plus, ajoutait le commentateur, ils ne savent pas lire, et sont donc peu à même d’en comprendre le mode d’emploi, ce qui explique, disait-il, qu’il y ait plus de sida là où on distribue des préservatifs que là où on n’en trouve pas”.

Une vraie saloperie. Quand on entendait des trucs pareils, ce n’était pas la grève qui menaçait, c’était la Révolution. Les médias ici semblaient fabriquer le Royaume de la haine, du mensonge et de la mauvaise foi. Les Espagnols auraient dû faire leur Printemps arabe, commencer à s’immoler par le feu, tout aurait peut-être été différent.

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Zone
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LE POINT DE VUE DES ÉDITEURSPar une nuit décisive, un voyageur lourd de secrets prend le train de Milan pour Rome, muni d'un précieux viatique qu'il doit vendre le lendemain à un représentant du Vatican pour ensuite — si tout va bien — changer de vie. Quinze années d'activité comme agent de renseignements dans sa Zone (d'abord l'Algérie puis, progressivement, tout le Proche-Orient) ont livré à Francis Servain Mirkovic les noms et la mémoire de tous les acteurs de l'ombre (agitateurs et terroristes, marchands d'armes et trafiquants, commanditaires ou intermédiaires, cerveaux et exécutants, criminels de guerre en fuite…). Mais lui-même a accompli sa part de carnage lorsque la guerre en Croatie et en Bosnie l'a jeté dans le cycle enivrant de la violence.Trajet, réminiscences, aiguillages, aller-retour dans les arcanes de la colère des dieux. Zeus, Athéna aux yeux pers et Arès le furieux guident les souvenirs du passager de la nuit. Le train démarre et, avec lui, commence une immense phrase itérative, circulatoire et archéologique, qui explore l'espace-temps pour exhumer les tesselles de toutes les guerres méditerranéennes. Car peu à peu prend forme une fresque homérique où se mêlent bourreaux et victimes, héros et anonymes, peuples déportés ou génocidés, mercenaires et témoins, peintres et littérateurs, évangélistes et martyrs… Et aussi les Parques de sa vie intérieure : Intissar l'imaginaire, la paisible Marianne, la trop perspicace Stéphanie, la silencieuse Sashka…S'il fallait d'une image représenter la violence de tout un siècle, sans doute faudrait-il choisir un convoi, un transport d'armes, de troupes, d'hommes acheminés vers une œuvre de mort. Cinquante ans après La Modification de Michel Butor, le nouveau roman de Mathias Enard compose un palimpseste ferroviaire en vingt-quatre "chants" conduits d'un seul souffle et magistralement orchestrés, comme une Iliade de notre temps.Né en 1972, Mathias Enard a étudié le persan et l'arabe et fait de longs séjours au Moyen-Orient. Il vit à Barcelone. Il a publié deux romans chez Actes Sud : La Perfection du tir (2003) — Prix des cinq continents de la francophonie, 2004 — qui paraît en Babel, et Remonter l'Orénoque (2005). Ainsi que, chez Verticales, Bréviaire des artificiers (2007).

Матиас Энар

Современная русская и зарубежная проза
Rue des Voleurs
Rue des Voleurs

LE POINT DE VUE DES ÉDITEURSC'est un jeune Marocain de Tanger, un garçon sans histoire, un musulman passable, juste trop avide de liberté et d'épanouissement, dans une société peu libertaire. Au lycée, il a appris quelques bribes d'espagnol, assez de français pour se gaver de Série Noire. Il attend l'âge adulte en lorgnant les seins de sa cousine Meryem. C'est avec elle qu'il va "fauter", une fois et une seule. On les surprend : les coups pleuvent, le voici à la rue, sans foi ni loi.Commence alors une dérive qui l'amènera à servir les textes — et les morts — de manières inattendues, à confronter ses cauchemars au réel, à tutoyer l'amour et les projets d'exil.Dans Rue des Voleurs, roman à vif et sur le vif, l'auteur de Zone retrouve son territoire hypersensible à l'heure du Printemps arabe et des révoltes indignées. Tandis que la Méditerranée s'embrase, l'Europe vacille. Il faut toute la jeunesse, toute la naïveté, toute l'énergie du jeune Tangérois pour traverser sans rebrousser chemin le champ de bataille. Parcours d'un combattant sans cause, Rue des Voleurs est porté par le rêve d'improbables apaisements, dans un avenir d'avance confisqué, qu'éclairent pourtant la compagnie des livres, l'amour de l'écrit et l'affirmation d'un humanisme arabe.Mathias Énard est l'auteur de quatre romans chez Actes Sud : La Perfection du tir (2003, prix des Cinq Continents de la francophonie), Remonter l'Orénoque (2005 ; adapté au cinéma en 2012 par Marion Laine sous le titre À cœur ouvert avec Juliette Binoche et Edgar Ramirez), Zone (2008, prix Décembre 2008 ; prix du Livre Inter 2009) et Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants (2010, prix Goncourt des lycéens 2010).

Матиас Энар

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