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Pour rejoindre la rue des Voleurs, il me fallait traverser — ou alors revenir sur mes pas, marcher vers l’université et de là m’enfoncer dans le Raval, mais j’imaginais que la place de l’Université devait elle aussi être à feu, si ce n’était à feu et à sang.

La subversion allait finir par en prendre plein la gueule, on sentait la violence et la haine de la maréchaussée monter : ils s’agitaient, remuaient, brandissaient leurs longues matraques, leurs fusils, leurs boucliers — en face, les jeunes baissaient leurs frocs pour montrer leurs culs, traitaient les flics d’enculés et de fils de putes ; un petit groupe démontait des poubelles métalliques pour les balancer, d’autres bizarrement s’attaquaient à un arbre, peut-être pour s’en faire une lance géante. L’affrontement était inégal et me rappelait un combat de conquistadors, avec armures et arquebuses, contre une troupe de civils mayas ou aztèques dont j’avais vu une gravure dans un livre d’histoire. La conquête était en marche.

Au moment où j’avais décidé de passer derrière les forces de l’ordre pour essayer de traverser, la charge a commencé. Une quinzaine de cognes se sont avancés en courant, matraques à la main ; quatre autres couvraient leurs flancs et se sont donc dirigés vers nous, nous ont virés sans ménagement, un monsieur assez respectable d’une cinquantaine d’années a commencé à gueuler, en disant qu’il habitait de l’autre côté de la rue ; le pandore masqué hurlait dégagez dégagez, il a collé un bon coup de matraque dans le dos du monsieur qui a fini par prendre ses jambes à son cou, indigné, des larmes de rage dans les yeux — nous avons dû refluer vers le haut de la ville, c’est-à-dire exactement à l’opposé de l’endroit où je devais me rendre. La violence et la haine ; je sentais la colère monter en moi, la colère et la peur ; j’ai essayé d’appeler Judit sur son portable pour savoir où elle se trouvait — pas de signal. La police avait dû couper les réseaux pour empêcher que les manifestants ne se coordonnent entre eux par SMS.

La ville oscillait entre l’insurrection et la fête populaire — la Gran Via était encore noire de monde, j’ai croisé une vieille dame qui portait un panneau “Qui sème la misère récolte la rage”, une petite fille tirant la ficelle d’un ballon à l’hélium où l’on pouvait lire “Assez de coupes budgétaires”, des étudiants qui chantaient Rajoy, chulo, te damos por culo

, Rajoy maquereau, on te la met dans le dos, et d’autres joyeusetés du même genre, dans les relents d’ordures brûlées et de gaz lacrymogène — étrangement un petit bar planqué derrière un échafaudage était ouvert, j’ai décidé de faire une pause en attendant que tout cela se calme un peu. J’ai pris un café que j’ai fait durer — la télé montrait en direct les événements de la journée, j’ai vu la scène de bataille à laquelle je venais d’assister place Urquinaona, prise depuis un autre angle : c’était une sensation tout à fait étrange de penser que derrière ces policiers, sur la gauche, au coin de la rue Pau Claris, on aurait pu m’apercevoir. La télévision était le périscope d’un sous-marin perdu.

La nuit tombait. J’avais peur d’être arrêté par malchance avec un groupe d’activistes, alors j’ai décidé de faire un grand détour pour rejoindre mon quartier, ma forteresse, le Palais des Voleurs : aller par la rue Diputació jusqu’à Villaroel, descendre jusqu’au marché Saint-Antoine et entrer dans le Raval par la rue Riera Alta. Un détour de trois quarts d’heure de marche, mais qui devait m’éviter de me retrouver par hasard au milieu d’une horde de pandores matraque à la main. Sur Diputació, à chaque coin de rue on apercevait, cinq cents mètres plus bas sur la gauche, autour de la place de Catalogne, les émanations blanches des gaz se mêler aux fumées noires des poubelles en flammes. J’ai réussi à joindre Judit — elle avait quitté la manifestation pour remonter chez elle lorsque les flics chargeaient au coin de Diagonal et du passeig de Gràcia ; sa voix était rauque ; je lui ai demandé si ça allait, elle m’a répondu oui oui, bien sûr, je n’ai pas insisté.

Le contournement était une bonne idée — à part des policiers locaux à moto qui empêchaient les voitures de descendre vers le centre je n’ai croisé que des groupes de commerçants discutant devant leurs magasins à moitié fermés ou des jeunes au visage grave et effrayé qui remontaient de la place de l’Université.

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Zone
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LE POINT DE VUE DES ÉDITEURSPar une nuit décisive, un voyageur lourd de secrets prend le train de Milan pour Rome, muni d'un précieux viatique qu'il doit vendre le lendemain à un représentant du Vatican pour ensuite — si tout va bien — changer de vie. Quinze années d'activité comme agent de renseignements dans sa Zone (d'abord l'Algérie puis, progressivement, tout le Proche-Orient) ont livré à Francis Servain Mirkovic les noms et la mémoire de tous les acteurs de l'ombre (agitateurs et terroristes, marchands d'armes et trafiquants, commanditaires ou intermédiaires, cerveaux et exécutants, criminels de guerre en fuite…). Mais lui-même a accompli sa part de carnage lorsque la guerre en Croatie et en Bosnie l'a jeté dans le cycle enivrant de la violence.Trajet, réminiscences, aiguillages, aller-retour dans les arcanes de la colère des dieux. Zeus, Athéna aux yeux pers et Arès le furieux guident les souvenirs du passager de la nuit. Le train démarre et, avec lui, commence une immense phrase itérative, circulatoire et archéologique, qui explore l'espace-temps pour exhumer les tesselles de toutes les guerres méditerranéennes. Car peu à peu prend forme une fresque homérique où se mêlent bourreaux et victimes, héros et anonymes, peuples déportés ou génocidés, mercenaires et témoins, peintres et littérateurs, évangélistes et martyrs… Et aussi les Parques de sa vie intérieure : Intissar l'imaginaire, la paisible Marianne, la trop perspicace Stéphanie, la silencieuse Sashka…S'il fallait d'une image représenter la violence de tout un siècle, sans doute faudrait-il choisir un convoi, un transport d'armes, de troupes, d'hommes acheminés vers une œuvre de mort. Cinquante ans après La Modification de Michel Butor, le nouveau roman de Mathias Enard compose un palimpseste ferroviaire en vingt-quatre "chants" conduits d'un seul souffle et magistralement orchestrés, comme une Iliade de notre temps.Né en 1972, Mathias Enard a étudié le persan et l'arabe et fait de longs séjours au Moyen-Orient. Il vit à Barcelone. Il a publié deux romans chez Actes Sud : La Perfection du tir (2003) — Prix des cinq continents de la francophonie, 2004 — qui paraît en Babel, et Remonter l'Orénoque (2005). Ainsi que, chez Verticales, Bréviaire des artificiers (2007).

Матиас Энар

Современная русская и зарубежная проза
Rue des Voleurs
Rue des Voleurs

LE POINT DE VUE DES ÉDITEURSC'est un jeune Marocain de Tanger, un garçon sans histoire, un musulman passable, juste trop avide de liberté et d'épanouissement, dans une société peu libertaire. Au lycée, il a appris quelques bribes d'espagnol, assez de français pour se gaver de Série Noire. Il attend l'âge adulte en lorgnant les seins de sa cousine Meryem. C'est avec elle qu'il va "fauter", une fois et une seule. On les surprend : les coups pleuvent, le voici à la rue, sans foi ni loi.Commence alors une dérive qui l'amènera à servir les textes — et les morts — de manières inattendues, à confronter ses cauchemars au réel, à tutoyer l'amour et les projets d'exil.Dans Rue des Voleurs, roman à vif et sur le vif, l'auteur de Zone retrouve son territoire hypersensible à l'heure du Printemps arabe et des révoltes indignées. Tandis que la Méditerranée s'embrase, l'Europe vacille. Il faut toute la jeunesse, toute la naïveté, toute l'énergie du jeune Tangérois pour traverser sans rebrousser chemin le champ de bataille. Parcours d'un combattant sans cause, Rue des Voleurs est porté par le rêve d'improbables apaisements, dans un avenir d'avance confisqué, qu'éclairent pourtant la compagnie des livres, l'amour de l'écrit et l'affirmation d'un humanisme arabe.Mathias Énard est l'auteur de quatre romans chez Actes Sud : La Perfection du tir (2003, prix des Cinq Continents de la francophonie), Remonter l'Orénoque (2005 ; adapté au cinéma en 2012 par Marion Laine sous le titre À cœur ouvert avec Juliette Binoche et Edgar Ramirez), Zone (2008, prix Décembre 2008 ; prix du Livre Inter 2009) et Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants (2010, prix Goncourt des lycéens 2010).

Матиас Энар

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