De nouveaux eloges ne pourraient rien ajouter a la reputation de Mr. Pouchkin. Depuis longtemps ses productions, qui decelent toutes un talent aussi varie que fecond, font le charme du public russe. Mais quelque brillants qu'aient ete jusqu'a ce jour les succes de ce poete, quelque incontestables que soient ses droits a la gloire les vrais amis de la litterature nationale le voyaient a regret suivre dans tous ses ouvrages une impulsion etrangere et sacrifier la vocation de poete original a soa admiration pour le Barde Anglais, qui s'offrait a ses yeux comme le genie poetique de notre siecle. Ce reproche, si flatteur pour Mr. Pouchkin, est cependant injuste sous un rapport. Il en est de l'education du poete comme de tout developpement moral: il faut quel'influence d'une force deja mure lui donne d'abord la conscience de toutes les impulsions dont il est susceptible, pour mettre en mouvement tous les ressorts de son ame et reveiller ainsi sa propre energie. Une premiere impulsion ne determine pas toujours la tendance du genie; mais c'est a elle qu'il doit son elan, et sous ce rapport Byron a ete pour Pouchkin ce que les circonstances d'une vie orageuse ont ete pour Byron lui-meme. Aujourd'hui l'education poetique de Mr. Pouchkin semble etre entierement terminee, l'in dependance de son talent est un sur garant de sa maturite, et sa Muse, qui ne s'etait montree a nous que sous les traits enchanteurs des Graces, vient de prendre le double caractere de Melpomene et de Clio. Depuis longtemps nous avons entendu parler de sa derniere production Boris Go-dounoff, et un nouveau Journal (Московский Вестник) vient de nous offrir une scene de ce Drame historique, qui n'est connu en entier que de quelques amis du Poete. L'epoque, a laquelle il se rattache, nous a deja ete presentee avec un talent admirable par le celebre historien, dont la Russie regrettera longtemps la perte, et nous ne pouvons nous empecher de croire que l'ouvrage de Mr. Karamzine n'ait ete pour Mr. Pouchkin une source bien riche des details les plus precieux. Quel est l'ami de la litterature qui verra sans interet ces deux genies, pour ainsi dire aux prises, developper le meme tableau, chacun selon son point de vue et dans un cadre different. Tout ce que nous avons pu apprendre sur la tragedie de Mr. Pouchkin nous autorise a croire que si d'un cote l'historien s'est eleve, par la hardiesse de son coloris a la hauteur de l'epopee, le poete a son tour a transporte dans sa production l'imposante severite de l'histoire. On dit que sa tragedie embrasse toute l'epoque du regne de Go-dounoff, ne se termine qu'a la mort de ses enfants et deroule toute la chaine des evenements, qui ont amene l'une des catastrophes les plus extraordinaires, dont la Russie ait jamais ete le theatre. Un cadre aussi vaste aura certainement oblige Mr. Pouchkin de se soustraire a cette regularite qu'imposent les lois derivees du principe des trois unites. Toutefois la scene, que nous avons sous les yeux, nous prouve suffisamment, que s'il a neglige dans ses formes quelques regles arbitraires, il n'en a ete que plus fidele aux lois immuables et fondamentales de la poesie et a ce caractere de vraisemblance, qui doit etre le resultat de la consciencieuse franchise avec laquelle le poete reproduit ses inspirations. Cette scene frappante de simplicite et d'energie, peut etre placee sans crainte au rang de tout ce que le theatre de Shakespeare et de Goethe nous offre de plus parfait. L'individualite du poete ne s'y montre pas un moment: tout appartient a l'esprit du temps et au caractere des personnages. Elle vient immediatement apres l'election de Boris au trone et doit offrir un contraste vraiment theatral avec les scenes precedentes ou le poete aura reproduit le grand mouvement, qui doit accompagner dans la capitale un evenement aussi important pour le pays entier. Le lecteur est transporte dans la cellule de l'un de ces moines, auxquels nous devons nos annales. Le calme imposant qu'on ne saurait separer de l'idee de ces hommes, qui, eloignes du monde, etrangers a ses passions, vivaient dans le passe pour s'en constituer l'organe dans l'avenir, caracterise le discours du vieillard. Il veille a la lueur de sa lampe, et une meditation involontaire, un souvenir d'un crime atroce l'arrete au moment ou il va terminer sa chronique. Il doit cependant ce recit a la posterite; il reprend sa plume. Dans ce meme moment Gregoire, dont il guide les annees de noviciat, s'eveille brusquement, poursuivi par un songe, qui serait aux yeux de la superstition le presage d'une destinee orageuse et a ceux de la raison l'expression vague d'une ambition encore comprimee. Le dialogue, qui decele des les premieres paroles l'opposition de ces deux caracteres, concus avec hardiesse et profondeur, amene le recit de l'assassinat du jeune Dmitri et fait deviner deja l'homme extraordinaire, qui se servira bientot du nom de cet infortune pour bouleverser la Russie. Le besoin d'entreprises hardies, les passions fougueuses, qui doivent se developper plus tard dans le coeur de Gregoire Otrepieff, nous sont precentes avec une verite admirable dans le discours qu'il tient au vieil annaliste: