Je voudrais bien pouvoir me flatter que ma rentrée précipitée à Pétersbourg n’a pas été inutile à vos intérêts, et qu’elle a réussi à conjurer la menace d’un second avertissement, suspendue sur la Москва
. Mais je voudrais surtout vous faire sentir au vrai et au vif la position, telle qu’elle est, ce qui certes n’est pas facile, car elle est absurde d’outre en outre. Ainsi, p ex, l’excellent Похвиснев, ainsi que le gérant actuel du Ministère le Pe Лобанов, dans les pourparlers que j’ai eus avec eux à mon retour, se sont plaints à moi, non sans quelque tristesse, du souci que leur donnait la Москва par l’impétuosité de ses allures agressives qui leur paraissait de nature à mettre leur responsabilité à découvert*. C’est surtout un des derniers articles, au sujet de l’oukase supplémentaire sur la presse, qui les a particulièrement mis en émoi, comme on pouvait s’y attendre*. Cette fois encore [44] du fond de la question qu’il s’agit, mais bien de la forme et rien que de la forme. Ils auraient volontiers admis toutes les critiques possibles à l’adresse de la mesure, pourvu qu’elles eussent été présentées d’une manière moins piquante, moins incisive — et avec un certain accent de déférence banale et officielle envers l’autorité qu’ils se crurent obligés de maintenir à tout prix, tout en gémissant de cette obligation. Mais livrée oblige*, tout aussi bien que noblesse — et ils sont fermement persuadés que le salut du gouvt lui-même est fortement intéressé au maintien de cette étiquette-là… J’ai, comme de raison, saisi l’occasion, pour leur dire de bien rudes vérités sur le tort bien autrement grave que fait à la considération du gouvernement la manière inqualifiable dont l’administration de la presse est gérée, le manque absolu d’intelligence, comme d’honnêteté dans le maniement de l’arbitraire, cette complaisance servile ou intéressée pour les uns, et cette rigueur brutale pour les autres… Les exemples et les faits ne m’ont pas manqué à l’appui de mes assertions — Катков d’une part, de l’autre la Весть, le fameux article des Биржевые ведомости, etc. etc. etc. On ne m’a pas contredit, on est même convenu de l’absurdité du régime existant en matière de presse. Mais enfin, service oblige, et on ne sort pas de là… Il serait donc inutile de chercher à introduire un peu de raison dans un pareil régime, on ne peut marcher qu’à tâtons à travers toute cette sottise, ainsi, par ex, chaque fois qu’il s’agit d’un acte du gouvt, surtout récent, s’abstenir soigneusement du sarcasme — du sarcasme surtout qu’ils ne supportent pas, et leur démontrer qu’ils sont des imbéciles, en leur demandant respectueusement pardon de la liberté grande. — Une certaine forme avant tout, et peut-être bien qu’à ce prix on pourra sauver le fonds, ce qui est l’essentiel. — Mille tendresses à ton mari.