Ma fille trois fois chérie. Si les pensées humaines avaient l’heureuse faculté de se convertir d’elles-mêmes en lettres écrites, pliées, cachetées et expédiées à la poste — assurément il ne se passerait pas de jour où tu n’en eusses reçues deux ou trois de moi, tant mes pensées sont habituellement dirigées vers vous, vous entourant et vous couvant avec une affectueuse sollicitude. — Aujourd’hui enfin, sous une forme plus palpable, je te les expédie, sur l’avis de Kitty, tout droit à Genève, aux Eaux vives, maison Pétroff*
, dans l’espoir qu’elles t’y trouveront encore. Ce que j’appris en dernier lieu à ton sujet, c’est-à-dJe ne te parle pas de ce qui concerne la famille, sachant que Kitty s’acquitte de ce soin — et d’ailleurs ce qu’il y aurait à en dire ne serait guères réjouissant. C’est quelque chose de triste et de terne, comme l’est tout déclin, de plus en plus accusé.
Quant à moi, dans le moment donné, c’est sur ma pauvre femme surtout, et sur Marie*
, par ricochet, que s’arrête et s’épuise ma plus vive sollicitude. — Ses lettres probablement t’auront informée de tous les tracas, déboires et dégoûts, par lesquels elle a passé dans ces derniers temps. — En ce moment-ci, grâce à l’argent que j’ai pu lui envoyer, elle a dû se sentir un peu soulagée. — Pas moins, elle en a encore pour deux mois peut-être de cette abominable réclusion à la campagne. — D’Anna je n’ai eu qu’une lettre (sans date) depuis son arrivée à Livadia*. J’ignore si elle y a revu (et comment) le grotesque héros de son absurde roman*. — Enfin, ce qui est certain, c’est que nous sommes, à l’heure qu’il est, grandement dispersés. — Plaise au Ciel de nous réunir prochainement sans que personne manque au rendez-vous. — Au revoir donc, à bientôt, ma fille chérie.С.-Петербург. Понедельник. 23 сентября/5 октября