Vous dites que le prêtre et le soldat sont beaucoup plus près (l'un de l'autre) qu'on ne le pense; aveu sinistre! – Ce sont les deux extrémités qui se rapprochent, comme ces deux ennemis restés seuls sur la terre dans «Les Ténèbres» de Byron, lorsque tout ce qui était entre eux a péri. C'est sur les ruines du vieux monde que les derniers représentants de l'esclavage moral et de l'esclavage physique se donnent la main pour le sauver.
L'église chrétienne s'est servie des soldats dès le jour où elle devint religion d'Etat. C'est vrai, mais jamais elle n'osa avouer cette apostasie; elle sentait bien ce que cette alliance avait de mensonger, d'hypocrite; c'était une des mille concessions qu'elle faisait au temporel, tant méprisé par elle. N'en voulons pas à l'Eglise pour cela, c'était une nécessité dictée par la force des choses, et qui tenait à l'essence même de la doctrine chrétienne, éminemment transcendantale, utopique. L'étique abstraite de l'Evangile ne fut jamais qu'un noble rêve, sans aucune chance de se réaliser.
Eh bien! ce que l'Eglise n'a jamais osé, a été fait par M. Cortès. Il a eu l'audace de mettre le soldat à côté du prêtre, l'autel à côté du corps de garde, l'Eglise à côté de la caserne, l'Evangile qui pardonne à côté du code militaire qui fusille les frères.
Messieurs, chantons un
Enfin, les masques sont tombés, on s'est reconnu. Oui, le prêtre et le soldat sont des frères; ils sont les malheureux enfants de la confusion morale, du dualisme dans lequel l'humanité se débat. Et celui qui dit: «Aime ton prochain et obéis à l'autorité», dit la même chose que l'autre qui répète: «Obéis à l'autorité et fais feù sur ton prochain».
L'abnégation chrétienne est aussi contraire à la nature que l'assassinat par obéissance. Il fallait dépraver, pervertir toutes les notions les plus simples dans la conscience de l'homme pour lui faire accepter une démence pareille comme vérité, comme devoir. Une fois ceci accepté, qu'il faut détester la terre et honorer le ciel, qu'il faut mépriser le temporel, le seul bien que l'on a, et chercher l'éternel, qui n'existe que dans notre faculté d'abstraction, on parvient aisément à accepter aussi que n'est rien, que l'Etat est tout, que le «
Mais pourquoi donc M. Cortès a-t-il oublié le troisième membre conservateur, l'ange-gardien des sociétés qui s'écroulent, – le bourreau?
Est-ce parce que le bourreau se confond de plus en plus avec le soldat, grâce à la noblesse d'âme des chefs et à la rigueur de l'obéissance passive?
Dans le bourreau brillent au suprême degré toutes les vertus qu'honore M. Cortès: la vénération de l'autorité, l'obéissance passive, l'abnégation de soi-même. Il n'a pas besoin de la foi d'un prêtre, ni de l'enthousiasme du danger qui anime le soldat. Il tue avec sang-froid, impassible comme la loi, comme le couteau; il tue pour venger la société; il tue au nom de l'ordre; il entre en concurrence avec tous les scélérats, et sort victorieux, appuyé sur la société. Moins fier que le prêtre et le soldat, il n'attend aucune récompense ni des dieux, ni des hommes; il ne cherche pas la gloire, il abdique son honneur, sa dignité d'homme, le tout pour le triomphe de l'ordre.
Justice donc à l'homme de la justice vengeresse. Nous disons aussi à la manière de Cortès: «Le bourreau est beaucoup plus près du prêtre qu'on ne pense».
Oh! le bourreau joue un grand rôle chaque fois qu'on crucifie un monde nouveau – ou qu'on guillotine un vieux spectre!
Et à propos du Calvaire et des bourreaux, passons aux persécutions des chrétiens, passons aux fragments de M. Capefigue, si vous n'avez pas une bonne histoire des premiers siècles sous main. Ou, ce qui est bien mieux, ouvrons Tertullien et les premiers Pères, d'un côté, et les écrits des défenseurs de l'ordre, des conservateurs romains, de l'autre. Même lutte, même acharnement, même énergie, exprimés dans les mêmes termes. Les chrétiens sont traités par Celse ou Julien comme des rêveurs, des utopistes, comme des visionnaires; ils sont flétris parle nom d'ennemis de l'Etat, de la famille, de la propriété, comme assassins d'enfants. – On croit lire un premier-Paris enragé du