Читаем Alexis ou le Traité du Vain Combat - Le Coup de Grâce полностью

J’allais assez rarement à ses soirées intimes, mais elle me recevait toujours bien. Elle n’avait pour moi, je le sentais, aucun attachement véritable, rien qu’une affection distraite de vieille dame indulgente. Et pourtant je l’aimais presque. J’aimais ses mains, un peu gonflées, que serrait l’anneau des bagues, ses yeux fatigués et son accent limpide. La princesse, comme ma mère, employait ce doux français fluide du siècle de Versailles, qui donne aux moindres mots la grâce attardée d’une langue morte. Je retrouvais chez elle, comme plus tard chez vous, un peu de mon parler natal. Elle faisait de son mieux pour me former au monde ; elle me prêtait les livres des poètes ; elle les choisissait tendres, superficiels et difficiles. La princesse de Mainau me croyait raisonnable ; c’était le seul défaut qu’elle ne pardonnait pas. Elle m’interrogeait, en riant, sur les jeunes femmes que je rencontrais chez elle ; elle s’étonnait que je ne m’éprisse d’aucune ; ces simples questions me mettaient au supplice. Naturellement, elle s’en apercevait : elle me trouvait timide et plus jeune que mon âge ; je lui savais gré de me juger ainsi. Il y a quelque chose de rassurant, lorsqu’on est malheureux et qu’on se croit très coupable, à être traité comme un enfant sans importance.

Elle me savait très pauvre. La pauvreté, comme la maladie, étaient des choses laides dont elle se détournait. Pour rien au monde elle n’eût consenti à monter cinq étages. Il ne faut pas, mon amie, que vous la blâmiez trop vite : elle était d’une délicatesse infinie. C’était, peut-être, pour ne pas me blesser qu’elle ne me faisait que des présents inutiles, et les plus inutiles sont les plus nécessaires. Lorsqu’elle me sut malade, elle m’envoya des fleurs. On n’a pas à rougir, devant des fleurs, d’être sordidement logé. C’était plus que je n’attendais de personne ; je ne croyais pas qu’il y eût, sur la terre, un seul être assez bon pour m’envoyer des fleurs. Elle avait, à cette époque, la passion des lilas mauves ; j’eus, grâce à elle, une convalescence embaumée. Je vous ai dit combien ma chambre était triste : peut-être, sans les lilas de la princesse Catherine, je n’aurais jamais eu le courage de guérir.

Lorsque j’allai la remercier, j’étais encore très faible. Je la trouvai, comme d’ordinaire, devant l’un de ces travaux à l’aiguille, qu’elle avait rarement la patience de finir. Mes remerciements l’étonnèrent ; elle ne se souvenait déjà plus qu’elle m’eût envoyé des fleurs. Mon amie, cela m’indigna : il semble que la beauté d’un présent diminue, quand celui qui le fait n’y attache pas d’importance. Les persiennes, chez la princesse Catherine, étaient presque toujours fermées ; elle vivait, par goût, dans un perpétuel crépuscule, et cependant l’odeur poussiéreuse des rues envahissait la chambre ; l’on se rendait bien compte que l’été commençait. Je pensais, avec une accablante fatigue, que j’aurais à subir ces quatre mois d’été. Je me représentais les leçons devenues plus rares, les vaines sorties nocturnes à la recherche d’un peu de fraîcheur, l’énervement, l’insomnie, d’autres dangers encore. J’avais peur de retomber malade, bien pis que malade ; je finis par me plaindre, à haute voix, que l’été vînt si vite. La princesse de Mainau le passait à Wand, dans un ancien domaine qui lui venait des siens. Wand n’était pour moi qu’un nom vague, comme tous ceux des endroits où nous croyons ne jamais vivre : je mis quelque temps à comprendre que la princesse m’invitait. Elle m’invitait par pitié. Elle m’invitait gaiement, s’occupant d’avance à me choisir une chambre, prenant, pour ainsi dire, possession de ma vie jusqu’au prochain automne. Alors j’eus honte d’avoir paru, en me plaignant, espérer quelque chose. J’acceptai. Je n’eus pas le courage de me punir en refusant, et vous savez, mon amie, qu’on ne résistait pas à la princesse Catherine.

Перейти на страницу:

Похожие книги

Книжный вор
Книжный вор

Январь 1939 года. Германия. Страна, затаившая дыхание. Никогда еще у смерти не было столько работы. А будет еще больше.Мать везет девятилетнюю Лизель Мемингер и ее младшего брата к приемным родителям под Мюнхен, потому что их отца больше нет – его унесло дыханием чужого и странного слова «коммунист», и в глазах матери девочка видит страх перед такой же судьбой. В дороге смерть навещает мальчика и впервые замечает Лизель.Так девочка оказывается на Химмель-штрассе – Небесной улице. Кто бы ни придумал это название, у него имелось здоровое чувство юмора. Не то чтобы там была сущая преисподняя. Нет. Но и никак не рай.«Книжный вор» – недлинная история, в которой, среди прочего, говорится: об одной девочке; о разных словах; об аккордеонисте; о разных фанатичных немцах; о еврейском драчуне; и о множестве краж. Это книга о силе слов и способности книг вскармливать душу.

Маркус Зузак

Современная русская и зарубежная проза