Читаем Alexis ou le Traité du Vain Combat - Le Coup de Grâce полностью

On ne souffre pas de ses vices, on souffre seulement de ne pouvoir s’y résigner. Je connus tous les sophismes de la passion ; je connus aussi tous les sophismes de la conscience. Les gens se figurent qu’ils réprouvent certains actes parce que la morale s’y oppose ; en réalité, ils obéissent (ils ont le bonheur d’obéir) à des répugnances instinctives. J’étais frappé, malgré moi, par l’extrême insignifiance de nos fautes les plus graves, par le peu de place qu’elles tiendraient dans notre vie, si nos remords n’en prolongeaient la durée. Notre corps oublie comme notre âme ; c’est peut-être ce qui explique, chez certains d’entre nous, les renouvellements d’innocence, Je m’efforçais d’oublier ; j’oubliais presque. Puis, cette amnésie m’épouvantait. Mes souvenirs, me paraissant toujours incomplets, me suppliciaient davantage. Je me jetais sur eux pour les revivre. Je me désespérais qu’ils pâlissent. Je n’avais qu’eux pour me dédommager du présent, de l’avenir auxquels je renonçais. Il ne me restait pas, après m’être interdit tant de choses, le courage de m’interdire mon passé.

Je vainquis. À force de rechutes misérables et de plus misérables victoires, j’arrivai à vivre une année tout entière comme j’aurais désiré avoir vécu toute ma vie. Mon amie, il ne faut pas sourire. Je ne veux pas exagérer mon mérite : avoir du mérite à s’abstenir d’une faute, c’est une façon d’être coupable. On dirige quelquefois ses actes ; on dirige moins ses pensées ; on ne dirige pas ses rêves. J’eus des rêves. Je connus le danger des eaux stagnantes. Il semble qu’agir nous absolve. Il y a quelque chose de pur, même dans un acte coupable, comparé aux pensées que nous nous en formons. Mettons, si vous voulez, de moins impur, et disons que cela tient à ce je ne sais quoi de médiocre qu’a toujours la réalité. Cette année, où je ne commis, je vous l’assure, rien de répréhensible, fut troublée de plus de hantises que toute autre, et de hantises plus basses. On eût dit que cette plaie, fermée trop vite, se fût rouverte dans l’âme et finît par l’empoisonner. Il me serait facile de faire un récit dramatique, mais ni vous ni moi ne nous intéressons aux drames, – et il est bien des choses qu’on exprime davantage en ne les disant pas. Ainsi, j’avais aimé la vie. C’était au nom de la vie, je veux dire de mon avenir, que je m’étais efforcé de me reconquérir sur moi-même. Mais on hait la vie quand on souffre. Je subis les obsessions du suicide, j’en subis d’autres, plus abominables. Je ne voyais plus, dans les plus humbles objets de la vie journalière, que l’instrument d’une destruction possible. J’avais peur des étoffes, parce qu’on peut les nouer ; des ciseaux, à cause de leurs pointes ; surtout, des objets tranchants. J’étais tenté par ces formes brutales de la délivrance : je mettais une serrure entre ma démence et moi.

Je devins dur. Je m’étais, jusqu’alors, abstenu de juger les autres ; j’aurais fini par être, si j’en avais eu le pouvoir, aussi impitoyable pour eux que je l’étais pour moi-même. Je ne pardonnais pas au prochain les plus petites transgressions ; je craignais que mon indulgence envers autrui ne m’amenât, devant ma conscience, à excuser mes propres fautes. Je redoutais l’amollissement que procurent les sensations douces ; j’en vins à haïr la nature, à cause des tendresses du printemps. J’évitais, le plus possible, la musique émouvante : mes mains, posées devant moi sur les touches, me troublaient par le souvenir des caresses. Je craignis l’imprévu des rencontres mondaines, le danger des visages humains. Je fus seul. Puis la solitude me fit peur. On n’est jamais tout à fait seul : par malheur, on est toujours avec soi-même.

La musique, cette joie des forts, est la consolation des faibles. La musique était devenue un métier que j’exerçais pour vivre. L’enseigner aux enfants est une épreuve pénible, parce que la technique les détourne de l’âme. Il faudrait, je pense, leur en faire d’abord goûter l’âme. En tout cas, l’usage s’y oppose, et ni mes élèves, ni leurs familles, ne tenaient à changer l’usage. J’aimais encore mieux les enfants que les personnes plus âgées qui me vinrent par la suite et se croyaient forcées d’exprimer quelque chose. Et puis, les enfants m’intimidaient moins. J’aurais pu, si je l’avais essayé, avoir des leçons plus nombreuses ; celles que je donnais me suffisaient pour vivre. Je travaillais déjà trop. Je n’ai pas le culte du travail, lorsque le résultat n’importe qu’à nous-mêmes. Sans doute, se fatiguer est une façon de se dompter ; mais l’épuisement du corps finit par engourdir l’âme. Reste à savoir, Monique, si une âme inquiète ne vaut pas mieux qu’une âme endormie.

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