Il faut, mon amie, que vous pardonniez à la princesse Catherine. Elle me connaissait assez peu pour me croire digne de vous. La princesse vous savait très pieuse ; j’étais moi-même, avant de vous connaître, d’une piété timorée, enfantine. Sans doute, j’étais catholique, vous étiez protestante, mais cela importait si peu. La princesse se figurait qu’un nom très ancien suffisait à compenser ma pauvreté, et les vôtres aussi raisonnèrent de la sorte. Catherine de Mainau plaignait, exagérément peut-être, ma vie solitaire et souvent difficile ; elle redoutait pour vous les épouseurs vulgaires ; elle se croyait tenue, en quelque sorte, de remplacer votre mère et la mienne. Et puis, elle était ma parente ; elle voulait aussi faire plaisir aux miens. La princesse de Mainau était sentimentale : elle aimait à vivre dans une atmosphère un peu fade de fiançailles allemandes ; le mariage, pour elle, était une comédie de salon, semée d’attendrissements et de sourires, où le bonheur arrive avec le cinquième acte. Le bonheur n’est pas venu, mais peut-être, Monique, en sommes-nous incapables ; et ce n’est pas la faute de la princesse Catherine.
Je crois vous avoir dit que le prince de Mainau m’avait raconté votre histoire. Je devrais plutôt dire l’histoire de vos parents, car celle des jeunes filles est tout intérieure : leur vie est un poème avant de devenir un drame. J’avais écouté cette histoire avec indifférence, comme l’un de ces interminables récits de chasses et de voyages où le prince se perdait, le soir, après les longs repas. C’était vraiment un récit de voyage, puisque le prince avait connu votre père au cours d’une expédition, déjà lointaine, dans les Antilles françaises. Le docteur Thiébaut fut un explorateur célèbre ; il s’était marié n’étant déjà plus jeune ; vous étiez née là-bas. Puis votre père, devenu veuf, avait quitté les Iles ; vous aviez vécu, dans une province de France, chez des parents du côté paternel. Vous aviez grandi dans un milieu sévère, et pourtant très aimant ; vous avez eu l’enfance d’une petite fille heureuse. Certes, mon amie, il n’est pas nécessaire que je vous raconte votre histoire : vous la savez mieux que moi. Elle s’est déroulée pour vous, jour par jour, verset par verset, à la façon d’un psaume. Il n’est même pas nécessaire que vous vous en souveniez : elle vous a fait ce que vous êtes, et vos gestes, votre voix, tout vous-même, portent témoignage de ce tranquille passé.
Vous êtes arrivée à Wand un jour de la fin du mois d’août, au crépuscule. Je ne me rappelle pas exactement les détails de cette apparition ; je ne savais pas que vous entriez, non seulement dans cette maison allemande, mais aussi dans ma vie. Je me souviens seulement qu’il faisait déjà sombre, et que les lampes, dans le vestibule, ne brûlaient pas encore. Ce n’était pas votre premier séjour à Wand, ainsi, les choses avaient pour vous une figure familière ; elles aussi vous connaissaient. Il faisait trop obscur pour que je distinguasse vos traits ; je m’aperçus seulement que vous étiez très calme. Mon amie, les femmes sont rarement calmes : elles sont placides, ou bien elles sont fébriles. Vous étiez sereine à la façon d’une lampe. Vous conversiez avec vos hôtes ; vous ne disiez que les paroles qu’il fallait dire ; vous ne faisiez que les gestes qu’il fallait faire, et cela était parfait. Je fus, ce soir-là, d’une timidité pire qu’à l’ordinaire ; j’aurais découragé jusqu’à votre bonté. Pourtant, je ne vous en voulais pas. Je ne vous admirais pas non plus : vous étiez trop lointaine. Votre arrivée me parut simplement un peu moins désagréable que je ne l’avais craint tout d’abord. Vous voyez, mon amie, que je vous dis la vérité.