Pourquoi ne m’avez-Vous pas écrit? Quelques mots. Je ne demande pas des lettres longues et détaillées. C’est à moi de Vous les écrire. Je commande à mon temps, à mon sommeil, à ma santé. Je suis l’élève du malheur. Vous ne l’êtes pas encore. Mais je voudrais que ses premières leçons Vous fassent utiles. Je ne Vous demande que quelques mots, et si j’interroge mon cœur, il me répond que c’est pour Vous, oui pour Vous, que je les demande. Sondez le cœur humain, sondez Votre cœur, et Vous trouverez que rien n’est si salutaire pour l’homme bon qui veut être vertueux en dépit des circonstances qui le tyrannisent, qui minent sa force, son activité, son passion pour le bien, que de se lier vis-à-vis d’un ami sûr, dont il respecte la vigilance. C’est une des principales règles de ma vie. Je pèse les motifs de mes actions, je me détermine et je mets un ami dans ma confidence. Alors plus de retraite. L’estime pour cet ami m’impose la loi de ne plus fléchir. C’est ainsi que l’égoïsme, que la nature ne nous a pas donné pour nous avilir, doit être mis à profit pour le bien. Croyez-moi. Il n’est nul homme au monde, peut-être pas même Jésus, Socrate ou Régulus, qui n’ait besoin de ce ressort pour tenir son âme dans cette vigueur de principes que l’humanité a déifiée en eux. Régulus trouva dans la résistance du serment la résistance qu’il dut opposer au cri de la nature et de sa famille. Socrate se soumettant aux lois injustes de sa Patrie, mourant pour ne pas cesser d’être citoyen, était entouré de ses amis; et Jésus trahi, vendu, crucifié encourageait ses disciples à la vertu et consolait sa mère.
Rapproche-toi de ton ami, Alexandre! Presse-le sur ton cœur, non seulement dans ces moments d’effusion où la présence, où le langage de l’âme exalte le sentiment. Qu’il te soit toujours présent. Vois-le toujours à tes côtés, confies-lui tes plus secrètes pensées, et quant il te prie de lui en dire quelques-unes, ne le lui refuse pas, pour toi-même, pour le bien de ton peuple, pour ta propre vertu.
O que je me réjouis d’avoir une âme entreprenante qui lutte sans cesse contre la faiblesse de tes alentours. Agis! fût-ce quelquefois à tort. – Pourquoi la Gazette de Pétersbourg n’a-t-elle pas encore livré l’article1
? Il ne remplissait peut-être pas tes vues. Il ne satisfaisait pas à tout. Mais faut-il n’agir que comme la divinité? La perfection est-elle l’apanage de l’homme? Agis! Ce n’est pas moi seul, c’est Bonaparte qui te crie du sud-ouest de l’Europe: Agis. Vois ses succès. Crois-tu qu’il ne commet pas de fautes? Elles ne cessent de l’être que parce que tous les autres en commettent de plus grandes, la plus grande de toutes, l’inactivité.L’idée de Vous rallier à Vos alentours a peut-être ses inconvénients. Quelle mesure n’a pas les siennes? Vous ne Vous croyez pas un Dieu. Il Vous faut donc des yeux, des bras, des hommes pour voir, pour agir, pour mener les hommes. Ceux que je Vous ai nommés sont les meilleurs. Servez-Vous donc des moyens que la providence, que Votre sens interne Vous a donné. Votre grandeur consiste en cela.
Adieu, mon cher ami, mon précieux Alexandre! Ton Parrot est toujours près de toi.
91. G. F. Parrot à Alexandre IER
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Sire!
Depuis 6 semaines que j’ai quitté Pétersbourg j’attends quelques lignes de Votre main. Peut-être ai-je tort de les désirer avec tant d’ardeur. Mais le sentiment calcule-t-il? Et Vous, qui connaissez si bien ce sentiment, cette sollicitude pour tout ce qui Vous concerne, Vous pouvez me refuser cette jouissance. Craignez-Vous une indiscrétion de ma part? J’ai brûlé Votre première lettre dans un temps où je n’espérais pas revoir ces caractères chéris1
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