« Des Demi-Hommes ! s’écria le Cavalier qui se tenait auprès d’Éomer, et il rit. Des Demi-Hommes ! Mais ce sont seulement des personnages de petite taille qu’on rencontre dans les vieilles chansons et les contes pour enfants venus du Nord ! Marchons-nous dans les légendes ou bien sur la terre verte, à la lumière du jour ? »
« On peut faire les deux, dit Aragorn. Car ce n’est pas nous qui ferons les légendes de notre temps, mais ceux qui viendront après nous. La terre verte, dites-vous ? Voilà une formidable matière de légende, bien que vous fouliez son sol à la lumière du jour ! »
« Le temps presse, dit le Cavalier sans faire attention à Aragorn. Il faut nous hâter vers le sud, seigneur. Laissons ces sauvages à leurs fabulations. Ou ligotons-les et emmenons-les devant le roi. »
« Paix, Éothain ! dit Éomer dans sa propre langue. Laisse-moi un moment. Dis à l’
Éothain s’éloigna en grommelant et s’adressa aux autres. Bientôt, ils se retirèrent, laissant Éomer seul avec les trois compagnons.
« Tout ce que vous dites est étrange, Aragorn, reprit-il. Pourtant, vous dites la vérité, cela est clair : les Hommes de la Marche ne mentent pas, ainsi, ils ne sont pas facilement trompés. Mais vous n’avez pas tout dit. Maintenant que nous sommes entre nous, ne voulez-vous pas parler de votre mission plus franchement, que je puisse juger ce qu’il convient de faire ? »
« Je suis parti d’Imladris – le nom que mentionnaient les vers – il y a bien des semaines, répondit Aragorn. Boromir de Minas Tirith était à mes côtés. J’avais pour mission de me rendre à cette cité avec le fils de Denethor, afin de prêter main-forte à ses gens dans leur guerre contre Sauron. Mais la Compagnie avec laquelle je voyageais était chargée d’une autre affaire. De cela, je ne puis parler pour l’instant. Gandalf le Gris était notre chef. »
« Gandalf ! s’exclama Éomer. Gandalf Grismantel est connu dans la Marche ; mais son nom, je vous préviens, n’est plus un mot de passe pour obtenir la faveur du roi. Si l’on en croit la mémoire des hommes, il a séjourné maintes fois dans le pays, revenant à son gré après une saison, ou encore après maintes années. Sa venue annonce toujours d’étranges événements – un oiseau de malheur, disent maintenant certains.
« D’ailleurs, les choses ont mal tourné depuis sa dernière visite, l’été passé. C’est là qu’ont commencé nos ennuis avec Saruman. Jusqu’alors, nous regardions Saruman comme notre ami, mais Gandalf est venu nous prévenir qu’une guerre surprise se préparait à Isengard. Il disait qu’il avait lui-même été emprisonné à Orthanc, qu’il n’avait pu s’échapper que de justesse ; et il nous suppliait de l’aider. Mais Théoden ne voulut pas l’écouter, et il est parti. Gardez-vous de clamer le nom de Gandalf aux oreilles de Théoden ! Son courroux est grand. Car Gandalf a pris le cheval que l’on nomme Scadufax, Cheveux-d’Ombre : le plus précieux de tous les coursiers du roi, et le plus grand des
« Scadufax a donc retrouvé seul son chemin depuis le lointain Nord, dit Aragorn ; car c’est là que Gandalf et lui se sont séparés. Mais hélas ! Gandalf ne montera plus jamais. Il est tombé dans les ténèbres des Mines de Moria et n’en revient point. »
« C’est une bien grave nouvelle, dit Éomer. Pour moi, du moins, et pour beaucoup d’autres ; mais pas pour tous, comme vous pourrez le constater, si vous vous présentez devant le roi. »
« Cette nouvelle est plus grave qu’aucun des habitants de ce pays ne peut le comprendre, et elle pourrait durement les toucher avant que l’année n’ait beaucoup vieilli, dit Aragorn. Mais quand tombent les grands, les moindres doivent commander à leur place. C’est à moi qu’il revint de conduire notre Compagnie sur la longue route depuis la Moria. Nous avons traversé la Lórien – dont vous feriez mieux d’apprendre la véritable nature avant de hasarder de nouvelles paroles – et de là, nous avons franchi les lieues du Grand Fleuve jusqu’aux chutes du Rauros. Là, Boromir fut tué par les mêmes Orques que vous avez massacrés. »
« Toutes vos nouvelles sont affligeantes ! s’écria Éomer, consterné. Cette mort cause grand tort à Minas Tirith et à nous tous. C’était un homme valeureux ! Tous chantaient ses louanges. Il venait rarement dans la Marche, car il partait toujours en guerre aux frontières de l’Est ; mais je l’ai vu. Semblable aux fougueux fils d’Eorl, plus qu’aux graves Hommes du Gondor il était à mes yeux, et sûr de devenir pour les siens un grand capitaine, quand viendrait son heure. Mais aucune nouvelle de ce malheur ne nous est parvenue du Gondor. Quand est-il tombé ? »