Là-dessus, il s’endormit. Legolas était déjà inerte, ses belles mains jointes sur sa poitrine, les yeux encore ouverts, entre veille nocturne et rêve profond, à la manière des Elfes. Gimli était recroquevillé près du feu ; songeur, il passait le pouce sur le tranchant de sa hache. L’arbre frémissait. Il n’y avait pas d’autre son.
Soudain, Gimli leva les yeux : tout juste dans la lueur du feu se tenait un vieillard courbé, appuyé sur un bâton et enveloppé d’une grande cape ; son chapeau à larges bords était rabattu sur ses yeux. Gimli se leva d’un bond, trop stupéfait pour s’écrier sur le moment, bien qu’il lui vînt à l’esprit, vite comme l’éclair, que Saruman venait de les prendre. Aragorn et Legolas, réveillés par ce mouvement brusque, se redressèrent tous deux, les yeux écarquillés. Le vieillard ne dit rien et ne fit aucun geste.
« Eh bien, mon bon père, que peut-on pour vous ? dit Aragorn, sautant sur pied. Venez vous réchauffer, si vous avez froid ! » Il s’avança, mais le vieillard avait disparu. Il n’y avait plus trace de lui à proximité, et ils n’osaient pas s’aventurer plus loin. La lune s’était couchée et la nuit était très noire.
Soudain, Legolas poussa un cri. « Les chevaux ! Les chevaux ! » Les chevaux étaient partis. Ils avaient disparu, traînant leurs piquets derrière eux. Les trois compagnons restèrent un temps immobiles et silencieux, troublés par ce nouveau revers de fortune. Ils étaient à l’orée de Fangorn, et des lieues innombrables les séparaient des Hommes du Rohan, leurs seuls alliés dans tout ce vaste et dangereux pays. Tandis qu’ils se tenaient là, il leur parut entendre, loin dans la nuit, le hennissement de chevaux. Puis tout redevint calme, hormis le froid bruissement du vent.
« Eh bien, ils sont partis, dit enfin Aragorn. Il est impossible de les retrouver ou de les attraper ; alors, s’ils ne reviennent pas d’eux-mêmes, il faudra nous en passer. Nous avons commencé sur nos deux pieds, et nous les avons encore. »
« Nos pieds ! fit Gimli. Mais on ne peut pas les manger, nos pieds, si on veut continuer de s’en servir. » Il jeta du bois sur le feu et se laissa choir à côté.
« Il y a quelques heures à peine, tu refusais d’enfourcher un cheval du Rohan, dit Legolas en riant. Si tu ne te surveilles pas, tu finiras cavalier. »
« Il semble peu probable que j’aie cette occasion, dit Gimli.
« Si vous voulez savoir ce que j’en pense, reprit-il au bout d’un moment, je crois que c’était Saruman. Qui d’autre ? Rappelez-vous les paroles d’Éomer :
« Je le note, dit Aragorn. Mais j’ai remarqué aussi que ce vieillard portait un chapeau, et non un capuchon. Je n’en suis pas moins convaincu que vous devinez juste ; que le danger nous guette ici, de jour comme de nuit. Mais en attendant, il n’y a rien d’autre à faire que de nous reposer tant que nous le pourrons. Je vais faire le guet pendant quelque temps, Gimli. J’ai bien plus besoin de réfléchir que de dormir. »
La nuit passa lentement. Legolas releva Aragorn, et Gimli releva Legolas, et les tours de garde se succédèrent. Mais il ne se passa rien. Le vieillard demeura invisible, et les chevaux ne revinrent pas.
3Les Uruk-hai
Pippin était plongé dans un rêve sombre et tourmenté : il lui semblait entendre sa petite voix grêle résonnant dans des tunnels noirs, criant :
Il se réveilla. Un air froid soufflait sur son visage. Il était étendu sur le dos. Le soir descendait et le ciel s’assombrissait. Se retournant, il s’aperçut que le rêve n’était pas beaucoup plus horrible que la réalité. Il était ligoté aux poignets, aux jambes et aux chevilles. Merry gisait à ses côtés, livide, un morceau d’étoffe crasseuse passé autour du front. Une grande compagnie d’Orques, certains debout, d’autres assis, se tenait tout autour d’eux.