Pippin et Merry se redressèrent. Leurs gardes, des Isengardiens, étaient partis avec Uglúk. Mais si les hobbits avaient quelque espoir de fuite, il fut bientôt réduit à néant. Un long bras poilu les saisit chacun par le cou et les attira l’un vers l’autre. Ils purent vaguement discerner l’énorme tête et l’affreux visage de Grishnákh entre eux deux : son haleine fétide était sur leurs joues. Il se mit à les palper et à les fouiller. Pippin frissonna tandis que des doigts tâtonnants descendaient, froids et durs, le long de son dos.
« Alors, mes nabots ! dit Grishnákh en un doux murmure. Vous savourez cet agréable moment de détente ? Ou pas ? Une posture sans doute un peu inconfortable : d’un côté, des lames et des fouets, et de l’autre, de vilaines lances ! Les petites personnes ne devraient pas se mêler à des affaires qui les dépassent. » Ses doigts continuaient de tâter. Une lueur semblable à une flamme, pâle mais ardente, brûlait au fond de ses yeux.
Une pensée traversa soudain l’esprit de Pippin, comme insufflée par l’urgent désir de son ennemi : « Grishnákh sait, pour l’Anneau ! Il le cherche, pendant qu’Uglúk est occupé ailleurs : il veut sans doute se l’approprier. » Et alors même qu’une peur glaciale lui étreignait le cœur, Pippin se demandait quel usage il pourrait tirer du désir de Grishnákh.
« Vous n’allez pas le trouver comme ça, je pense. Il n’est pas facile à trouver. »
«
Pendant un instant, Pippin resta silencieux. Puis soudain, dans les ténèbres, il produisit un son dans sa gorge :
Les hobbits sentirent les doigts de Grishnákh se contracter. « O-ho ! fit doucement le gobelin. C’est ça qu’il veut dire, hein ? O-ho ! Très, trrrès dangereux, mes nabots. »
« Peut-être bien, dit Merry, maintenant alerte et au fait des déductions de Pippin. Peut-être, et pas seulement pour nous. N’empêche, vous savez mieux que personne ce que vous avez à faire. Le voulez-vous, oui ou non ? Et qu’êtes-vous prêt à donner pour l’avoir ? »
« Si je le veux ? Si je le veux ? » dit Grishnákh, comme interloqué ; mais ses bras tremblaient. « Ce que je donnerais pour l’avoir ? Qu’entends-tu par là ? »
« Nous entendons, dit Pippin, choisissant ses mots avec soin, qu’il ne sert à rien de tâter dans le noir. Nous pourrions vous épargner beaucoup de temps et d’effort. Mais vous devez d’abord nous délier les jambes, sans quoi nous n’allons rien faire ni rien dire. »
« Mes chers et tendres petits nigauds, souffla Grishnákh, tout ce que vous avez, et tout ce que vous savez, tout cela vous sera soutiré en temps voulu : tout ! Vous souhaiterez pouvoir en dire plus pour satisfaire le Questionneur, oh oui : très bientôt. Ne précipitons pas l’enquête. Surtout pas ! Pourquoi croyez-vous qu’on vous a maintenus en vie ? Je vous prie de me croire, mes chers petits amis, quand je vous dis que ce n’était pas par gentillesse : voilà au moins un défaut qu’on ne saurait reprocher à Uglúk. »
« Je n’ai aucun mal à croire cela, dit Merry. Mais vous n’avez pas encore ramené votre butin à la maison. Et il n’est pas près d’aller de votre côté, on dirait, quoi qu’il arrive. Si nous parvenons à Isengard, le grand Grishnákh n’en retirera pas le moindre avantage : Saruman prendra tout ce qu’il pourra trouver. S’il y a quelque chose que vous désirez, c’est le moment de conclure un marché. »
Grishnákh commençait à s’emporter. Le nom de Saruman semblait particulièrement l’énerver. Les minutes passaient et, peu à peu, l’agitation retombait. Uglúk ou les Isengardiens pouvaient revenir à tout moment. « L’avez-vous – toi, ou bien toi ? » dit-il d’une voix rageuse.
«
« Déliez-nous les jambes ! » dit Merry.
Ils sentirent les bras de l’Orque secoués de violents tremblements. « Soyez maudits – sales petits vermisseaux ! siffla-t-il. Vous délier les jambes ? Je vais vous délier tous les tendons du corps. Me croyez-vous incapable de vous fouiller jusqu’aux os ? Vous fouiller ! Je vais vous mettre en lambeaux encore tout palpitants. Tous les deux. Je n’ai pas besoin de vos jambes pour vous emmener loin d’ici – et vous avoir pour moi tout seul ! »
Soudain il les saisit. La force de ses longs bras, de ses épaules, était terrifiante. Il les fourra chacun sous une aisselle, les pressant brutalement contre ses côtes, une grande main suffocante plaquée sur leurs bouches. Puis il s’élança, prenant soin de se baisser. En silence, d’un pas vif, il se glissa jusqu’à la limite de la butte. Là, choisissant une brèche entre les guetteurs, il passa dans la nuit comme une ombre maléfique, se dirigeant au bas de la pente et en direction de l’ouest, vers la rivière débouchant de la forêt. Il y avait de ce côté un vaste espace vide où ne brûlait qu’un seul feu.