Il me semble que votre autorité devrait prendre des mesures urgentes. Je connais les passions judaïques et la fureur de ses manifestations. Jamais je ne pourrai oublier l'odieux ferment des pharisiens, le jour du Calvaire. Si je crains pour le sort de Paul, je crains également pour vous-même. La foule de Jérusalem est très souvent criminelle.
Lysias a froncé le front et a longuement réfléchi. Mais l'arrachant à son indécision, le vieux Galiléen lui a présenté l'idée de faire transférer le prisonnier à Césarée en vue d'un jugement plus juste. La mesure aurait la vertu de soustraire l'apôtre de l'environnement exacerbé de Jérusalem et faire avorter le début du plan d'homicide ; en outre, le tribun resterait libre de tous soupçons injustes et maintiendrait intègres les traditions de respect autour de son nom de la part des juifs malveillants et ingrats. Le fait ne serait connu que des plus intimes et le patricien désignerait une escorte de soldats courageux pour accompagner le prisonnier qui ne sortirait de Jérusalem qu'après minuit.
Claude Lysias considéra l'excellence de ces suggestions et promit de les mettre en pratique le soir même.
Dès que Jacques l'eut salué, le Romain a appelé deux assistants de confiance et leur a donné les premiers ordres pour former une escorte forte de cent-trente soldats, deux-cents archers et soixante-dix cavaliers, sous la protection de qui, Paul de Tarse aurait à comparaître devant le gouverneur Félix, au grand port palestinien. Conformément aux instructions reçues, les préposés réservèrent au prisonnier l'une des meilleures montures.
Tard dans la nuit, à sa grande surprise, Paul de Tarse fut appelé. Claude Lysias lui expliqua en quelques mots l'objectif de sa décision et la grande caravane partit en silence vers Césarée.
Compte tenu du caractère secret des mesures prises, le voyage se passa sans incidents dignes d'être mentionnés. Ce n'est que plusieurs heures plus tard que les informations en question quittèrent la tour Antonla, convainquant les juifs, à leur grande déception, de l'inutilité de toutes représailles.
À Césarée, le gouverneur reçut l'expédition avec beaucoup d'étonnement. Il connaissait la réputation de Paul et il n'était pas sans ignorer les luttes qu'il soutenait avec ses frères de race, mais cette caravane de quatre cents hommes armés pour protéger un prisonnier le laissait stupéfait.
Après le premier interrogatoire, le plus haut préposé de l'Empire de la province prit la décision suivante :
Vu l'origine judaïque de l'accusé, je ne peux rien juger sans entendre l'organe compétent de Jérusalem.
Et il ordonna que le Sanhédrin se fasse représenter au siège du gouvernement dans la plus grande urgence.
Cet ordre sut largement satisfaire les Israélites.
En conséquence, cinq jours après le déplacement de l'apôtre, Ananie lui-même, à la tête de l'ensemble des autorités du Sanhédrin et du Temple, accourut à Césarée avec les projets les plus étranges concernant la situation de l'adversaire. Connaissant le pouvoir de son inexorable logique et la grandeur de la parole de l'ex-docteur de Tarse, les vieux rabbins se firent accompagner de Tertule, l'une des intelligences les plus remarquables qui aient coopérer au respectable collège.
Une fois le tribunal improvisé mis en place pour décider des faits, l'orateur du Sanhédrin eut le premier la parole, et formula de lourdes accusations contre le suspect. Il dessina sous de sombres aspects toutes les activités du christianisme et finit par demander au gouverneur de livrer l'accusé à ses frères de race afin d'être dûment jugé par eux-mêmes.
C'est alors que l'occasion de s'expliquer fut accordée à l'ex-rabbin. Paul se mit à parler avec une grande sérénité. Félix a immédiatement constaté ses dons intellectuels élevés, les beautés dialectiques qu'il évoquait et écouta ses arguments avec un rare intérêt. Les anciens de Jérusalem ne savaient pas cacher leur propre colère. S'ils l'avaient pu, ils auraient écartelé l'apôtre à cet instant même, telle était leur irritation qui contrastait avec la tranquillité transparente de l'oratoire et celle de l'orateur infortuné.
Embarrassé, le gouverneur eut du mal à prononcer un « verdict ». D'un côté, il y avait les anciens d'Israël dans une attitude presque colérique qui réclamaient les droits de la race ; de l'autre, il contemplait l'apôtre de l'Évangile, calme, imperturbable, Seigneur spirituel du sujet qui éclaircissait tous les points obscurs du procès singulier qui lui était fait avec sa parole élégante et réfléchie.
Reconnaissant l'extrême valeur de cet homme amaigri et vieilli dont les cheveux semblaient blanchis par des expériences pénibles et sacrées, le gouverneur Félix a modifié précipitamment ses premières impressions et a clôturé les travaux en ces termes :
Messieurs, je reconnais que le procès est plus grave que j'avais pu en juger à première vue. Aussi, je décide de reporter le jugement définitif jusqu'à ce que le tribun Claude Lysias ait été dûment entendu.