Dès qu'elle s'était approchée de moi, je me suis dit qu'Abigail ne resterait plus longtemps sur terre. Ses couleurs effacées, la luminosité intense de ses yeux, me parlaient de sa condition d'ange exilé. Mais nous devons croire qu'elle vit au plan immortel. Et qui sait? Peut-être que ses prières aux pieds de Jésus ont contribué pour que le Maître te convoque à la lumière de l'Évangile aux portes de Damas !...
Le vieux disciple du « Chemin » était ému. Alors qu'il recevait ces douces évocations, Saûl pleurait. Oui, il concevait qu'Abigail ne puisse être morte. La vision de Jésus ressuscité suffisait pour dissiper tous ses doutes. L'élue de son âme s'était certainement apitoyée de ses misères, elle avait supplié le Sauveur avec insistance pour qu'il aide son esprit mesquin et, par une heureuse coïncidence, le même Ananie qui avait préparé son cœur aux bénédictions du ciel, lui avait aussi tendu ses mains amicales pleines de charité et de pardon. Maintenant, il appartiendrait pour toujours à ce Christ aimant et juste qui était le Messie promis. Dans ses profondes émotions dont ses sentiments étaient emprunts, il se mit à réfléchir au pouvoir de l'Évangile, examinant ses ressources transformatrices illimitées. Il aurait voulu plonger son âme dans ses leçons sublimes et infinies, se baigner dans ce fleuve de vie dont les eaux de l'amour de Jésus fécondait les cœurs les plus arides et déserts. Cette méditation profonde exaltait maintenant tout son être.
Ananie, mon maître - a dit l'ex-rabbin avec enthousiasme -, où pourrai-je trouver l'Évangile sacré ?
L'ancien disciple a souri avec bonté et lui fit observer :
Avant tout, ne m'appelle pas maître. Car le maître est et sera toujours le Christ. Nous autres, par adjonction de miséricorde divine, nous sommes des disciples, des frères dans le besoin qui œuvrent au travail rédempteur. Quant à l'acquisition de l'Évangile, ce n'est qu'à l'église du « Chemin », à Jérusalem, que nous pourrions obtenir une copie intégrale des annotations de Levi.
Et fouillant à l'intérieur d'un vieux sac, il en retira quelques parchemins jaunis sur lesquels il avait réussi à rassembler quelques éléments de la tradition apostolique. Présentant ces notes dispersées, Ananie a ajouté :
Verbalement, je connais presque par cœur tous les enseignements ; mais pour ce qui est de la partie écrite, voici tout ce que je possède.
Admiratif, le jeune converti a reçu les annotations. Il s'est immédiatement penché sur les vieux griffonnages et les dévora avec un intérêt évident.
Après avoir réfléchi quelques minutes, il souligna :
Vous serait-il possible de me laisser ces précieux enseignements, jusqu'à demain.
J'emploierai la journée à les copier pour mon utilisation personnelle. L'aubergiste m'achètera les parchemins nécessaires.
Et comme il était déjà illuminé de cet esprit missionnaire qui marquerait ses moindres actes pour le reste de sa vie, il réfléchissait attentif :
Nous devons trouver un moyen de diffuser la nouvelle révélation le plus largement possible. Jésus est une aide qui nous vient du ciel. Retarder la diffusion de son message, c'est prolonger le désespoir des hommes. D'ailleurs, le mot « évangile » signifie « bonne nouvelle».
Il est indispensable de répandre cette annonce qui nous vient du plan le plus élevé de
la vie.
Tandis que le vieux prédicateur du « Chemin » observait l'intéressé, le converti de Damas a appelé l'hôtelier pour acheter les parchemins. Judas fut surpris de constater son insolite guérison. Pour satisfaire sa curiosité, le jeune de Tarse lui dit sans détours :
Jésus m'a envoyé un médecin. Ananie est venu me guérir en son nom.
Et avant que l'homme ne fût remis de sa surprise, il lui faisait plusieurs recommandations concernant les parchemins qu'il désirait acheter, lui donnant la quantité d'argent nécessaire.
Laissant libre cours à son enthousiasme, il s'est à nouveau adressé à Ananie en lui exposant ses plans :
Jusqu'à présent, j'occupais mon temps à l'étude et à l'exégèse de la Loi de Moïse ; maintenant, je remplirai mes heures de l'esprit du Christ. Je travaillerai à cela jusqu'à la fin de mes jours. Je chercherai à initier mon travail ici même à Damas.
Et faisant une pause, il demanda à son bienfaiteur qui l'écoutait en silence :
Vous connaissez en ville un jeune pharisien du nom de Sadoc ?
Oui, c'est lui qui a ordonné les persécutions dans cette ville.
Très bien - a continué le jeune tarsien attentif -, demain c'est samedi et c'est jour de harangue à la synagogue. Je prétends aller voir quelques amis et leur parler publiquement de l'appel que le Christ m'a adressé. Je veux étudier vos annotations aujourd'hui même, car elles me serviront pour ma première prédication de l'Évangile.