Pour être sincère - dit Ananie avec son expérience des hommes -, je crois que tu dois être très prudent dans cette nouvelle phase religieuse. Il est possible que tes amis de la synagogue ne soient pas prêts à recevoir la lumière de toute la vérité. La mauvaise foi trouve toujours le chemin de la confusion pour tester ce qui est pur.
Mais puisque j'ai vu Jésus, je n'ai pas le droit d'occulter une révélation incontestable - s'exclama le néophyte comme pour souligner avant tout la bonne intention qui l'animait.
Oui, je ne te dis pas de fuir le témoignage - a expliqué calmement le vieux disciple - mais je dois te signaler la plus grande prudence dans tes attitudes, non pour la doctrine du Christ, supérieure et invulnérable
Pour moi je ne crains rien. Si Jésus a rendu la lumière à mes yeux, il ne cessera d'illuminer mes pas. Je veux raconter à Sadoc les faits qui ont donné une nouvelle voie à ma destinée. Et l'occasion ne peut être plus propice car je sais qu'il héberge actuellement chez lui quelques sacerdotes renommés, dernièrement venus de Chypre.
Que le Maître bénisse tes bonnes intentions - a dit le vieil homme en souriant.
Saûl était heureux. La présence d'Ananie le consolait par-dessus tout. Comme de vieux et fidèles amis, ils ont déjeuné ensemble. Ensuite et toujours ravi, le généreux envoyé du Christ s'est retiré, laissant l'ex-rabbin livré à la copie méticuleuse des textes.
Le lendemain, Saûl de Tarse s'est levé joyeux et bien disposé. Il se sentait revigoré, prêt pour une nouvelle vie. Les souvenirs amers avaient déserté sa mémoire. L'influence de Jésus le remplissait de joies substantielles et durables. Il avait l'impression d'avoir ouvert une nouvelle porte dans son âme par où soufflaient rapidement les inspirations d'un monde plus vaste.
Après son premier repas, malgré la déception causée par l'attitude de Sadoc, il alla voir son ami, porté par la sincérité qui réglait les moindres actes de sa vie. Mais il ne l'a pas trouvé chez lui. Un serviteur l'a informé que son maître était sorti avec quelques hôtes en direction de la synagogue.
Saûl s'y rendit. Les travaux du jour avaient déjà commencé. La lecture des textes de Moïse avait été faite. L'un des prêtres de Citium avait pris la parole pour en faire les commentaires.
L'arrivée de l'ex-rabbin provoqua la curiosité générale. L'assistance dans sa majorité connaissait l'importance du personnage, ainsi que son verbe ardent et ferme. En le voyant, Sadoc est devenu pâle, et plus encore quand le jeune tarsien demanda à lui parler en particulier. Bien que contrarié, il est allé à sa rencontre. Ils se sont salués sans pouvoir dissimuler les nouvelles impressions qui existaient maintenant entre eux.
Face aux commentaires évoqués par le nouvel évangéliste, formulés sur un ton aimable, l'ami de Damas lui dit manifestant son orgueil offensé :
Effectivement, je savais que tu étais en ville et je suis même allé te voir à la pension de Judas ; mais les informations de l'hôtelier furent telles que je me suis abstenu de te rendre visite dans ta chambre. Je lui ai d'ailleurs demandé de garder le silence à ce sujet. En effet, il me semble incroyable que tu te rendes, toi aussi, passivement aux sorcelleries du « Chemin » ! Je ne peux comprendre un tel changement dans ta forte mentalité.
Mais, Sadoc - a répliqué le jeune tarsien très calme -, j'ai vu Jésus ressuscité de mes propres yeux...
L'autre fit un grand effort pour contenir un bruyant éclat de rire.
Est-il possible - a-t-il objecté sur un ton de plaisanterie - que ta nature sentimentale, si contraire aux manifestations de mysticisme, ait capitulé sur ce terrain ? Comment peux-tu croire à de telles visions ? Ne serais-tu pas plutôt victime de quelque adepte effronté du charpentier ? Tes attitudes d'à présent nous causeront une profonde honte. Que diront les hommes irresponsables qui ne connaissent rien à la Loi de Moïse ? Et que dire de notre position dans le parti dominant de notre race ? Les collègues du pharisaïsme vont écarquiller les yeux quand ils apprendront ta bruyante défection. Quand j'ai accepté de poursuivre les compagnons de l'ouvrier de Nazareth en réprimant leurs dangereuses activités, je l'ai fait par amitié pour toi ; et la trahison à tes précédents vœux ne t'afflige-t-elle pas ? Tu peux imaginer comme notre tâche sera difficile, quand la nouvelle se répandra que tu as capitulé devant ces hommes sans culture et sans conscience.
Saûl a regardé son ami, révélant une Immense inquiétude dans son regard soucieux. Ces accusations étaient les prémisses de l'accueil qui l'attendait au cénacle de ses vieux compagnons de luttes et des constructions religieuses.
Non - a-t-il dit pesant chaque parole de tout son poids -, je ne peux accepter tes arguments. Je te répète que j'ai vu Jésus de Nazareth et je dois proclamer qu'en lui je reconnais le Messie attendu par nos prophètes les plus éminents.