«Je crois que je vois, encore mieux qu’`a Messkirch, l’extraordinaire difficult'e de “Die Frage nach der Technik”. Car il s’agit de la question des questions, qui par-del`a Aristote, remonte jusqu’`a H'eraclite, insofern das Unaufhaltsame des Wesens der Technik dem Geheimnis selbst, dem kruvtesqai der fuvsi", dem verborgenen “Dass” entspricht, durch das die ganze Lichtungsgeschichte des Seyns getragen ist.»
Que se passe-t — il avec ce changement de langue? Il n’est pas superflu de poser la question, d’autant moins que par l`a — avant m^eme de nous mettre `a traduire de ce qu’'ecrit Jean Beaufret — nous avons occasion de pr'eciser le sens du questionnement. Il est bon, en effet, lorsque nous questionnons, de nous demander si nous questionnons
Pourquoi Jean Beaufret passe-t — il du francais `a l’allemand? N’est-ce pas justement parce qu’il entreprend de questionner dans le sens que nous cherchons `a mettre en 'evidence — c’est—`a-dire non pas `a propos de quelque chose qui serait l`a sous nos yeux, mais vers ce qui non seulement n’est pas l`a, mais ne cesse de se d'erober — selon une 'echapp'ee dont l’emportement seul peut frayer le passage `a une approche?
La question de la technique, dit-il, est “la question des questions”. Entendre cette formulation suivant la pente habituelle de nos compr'ehensions, fait simplement passer `a c^ot'e de ce qu’il s’agit de penser. Car la question de la technique n’est pas Ja question aupr`es de laquelle toutes les autres feraient p^ale figure. C’est la question des questions au sens o`u, en elle, viennent se r'esumer toutes les autres questions, dans la mesure pr'ecise o`u elles sont bien autre chose que des demandes d’information; c’est la question en laquelle toutes les questions philosophiques trouvent en quelque sorte leur figure embl'ematique.
T^achons de voir cela le plus directement possible, c’est—`a-dire au moment du changement de langue. En se mettant `a 'ecrire en allemand, Jean Beaufret introduit une rupture dont l’indication est aussi abrupte que claire. Le mot de cette rupture se trouve ^etre la conjonction “insofern” — o`u s’entend le mot “fern” (“far”, *per. pevra. pro, c’est—`a-dire les vecteurs les plus constants, dans nos langues, des tensions vers l’extr^eme lointain). Nous y reviendrons; mais pour le faire comme il faut, voyons d’abord quel est le cours de cette phrase qui, je le rappelle, commence en francais.
La question de la technique, s’explique `a lui-m^eme Jean Beaufret lisant et relisant la conf'erence “Die Frage nach der Technik”, est une question 'eminemment philosophique (et donc nullement un probl`eme, susceptible d’^etre r'esolu anthropologiquement, sociologiquement, bref `a l’aune de la science). En tant que question philosophique, cette question — o`u l’on est apr`es `a questionner la technique — renvoie d’abord `a Aristote. Pourquoi cela? Parce que c’est lui qui d'efinit [en 1439 b 15 de
Ici, ce que je ne faisais qu’indiquer en commencant trouve sa mise au clair: la technique a bien un commencement historique — au sens le plus fort du terme, qu’il est commode de marquer par le mot “historial” (dans l’acception pr'ecise o`u s’y entend que par ce type de commencement-l`a, c’est toute une humanit'e qui devient par le fait partie prenante d’une destin'ee, laquelle se r'ev`ele adress'ee `a ceux qui en seront express'ement les destinataires, c’est—`a-dire ceux qui auront `a en porter la responsabilit'e). Avant ce commencement, il n’y a pas, `a proprement parler de possibilit'e pour qu’apparaisse une “technique” dans l’acception stricte du terme. Pour qu’apparaisse une “technique”, il faut en effet qu’il y ait eu d’abord explicitation de la tevcnh — c’est—`a-dire ph'enom'enologie de ce qui rend possible toute fabrication humaine.