Читаем Rue des Voleurs полностью

Quand j’ai vu que nous tournions à gauche à deux cents mètres de la Pensée coranique, j’ai commencé à être un peu inquiet ; il y avait une cible possible, au bout de l’avenue, dont j’espérais qu’elle n’était pas la nôtre. Mais si. Ça ne pouvait être que là. Tout le monde paraissait savoir où nous allions sauf moi ; Bassam en tête, le groupe avançait sans hésiter. On est arrivés devant la boutique du libraire ; il avait rentré l’étalage à cause de la pluie, mais de la lumière filtrait par la porte, malgré l’heure tardive ; j’imaginais qu’il était en train de se taper une ou deux bouteilles de picrate en regardant de vieilles revues espagnoles ou françaises de filles à poil. Effectivement, le vieux était au fond de son magasin, avec un litron de rouge ; il a levé la tête de son Playboy

, l’air furieux, il m’a reconnu, il a souri timidement, décontenancé. Le Cheikh Nouredine a eu un regard de mépris, il a prononcé un bref sermon en arabe classique, tu es la honte du quartier, notre quartier est respectable, respecte Dieu et notre quartier, Infidèle, nous sommes le châtiment des Infidèles, la ruine des mécréants, quitte notre quartier sur-le-champ, respecte Dieu, nos femmes et nos enfants, le libraire roulait des yeux hallucinés ; son regard allait très vite de droite à gauche, se posait sur Bassam, sur moi, et revenait au Cheikh qui débitait son anathème. Il avait toujours son verre à la main, l’air incrédule, se demandant si je lui faisais une blague de mauvais goût ou un truc du genre. Puis le Cheikh a crié la colère de Dieu soit sur toi !!! et s’est tourné vers moi, Bassam a ouvert son manteau pour sortir son manche de pioche et m’a regardé lui aussi. Ils me fixaient tous les trois, le libraire a dit d’une voix sans timbre qu’est-ce que c’est que cette plaisanterie ? Bassam avait l’air de m’implorer, genre vas-y, bon sang, qu’est-ce que t’attends, vas-y bordel, mais vas-y, le Cheikh me jaugeait, j’ai écarté les pans de mon manteau, tiré ma trique à mon tour, le libraire a eu un air effrayé, surpris et effrayé, il s’est levé d’un coup de sa chaise, a contourné le bureau de mon côté, très vite, comme pour s’enfuir, je ne voulais pas lui faire mal, il a essayé d’attraper mon bâton, il a commencé à nous insulter, salauds, chiens, enculés je baise vos mères, alors Bassam l’a frappé bien fort, sur l’épaule, un bruit mat a résonné, il a hurlé de douleur, il s’est effondré en s’accrochant à mon manteau et à mes jambes, Bassam a abattu le gourdin sur ses côtes, avec beaucoup d’élan, le libraire a hurlé de nouveau, blasphémé horriblement, Bassam a remis ça sur sa cuisse, en visant l’os, l’homme s’est mis à gémir. Bassam souriait, son bâton brandi. Je me suis demandé un instant s’il n’allait pas me péter la gueule aussi. Le Cheikh Nouredine s’est penché sur le libraire qui gémissait par terre, il lui a dit j’espère que tu as compris, puis lui a donné un coup de pied qui l’a fait crier de plus belle. Des larmes coulaient sur le visage du pauvre type, je ne pouvais plus regarder, j’ai rangé mon bout de bois, je suis sorti. Bassam m’a suivi, puis le Cheikh ; j’ai entendu qu’il crachait sur sa victime avant de partir. Je suis rentré en courant, les autres derrière moi. Arrivé au Groupe pour la Diffusion de la Pensée coranique j’ai balancé mon manche de pioche sur les tapis et je me suis enfermé dans ma chambre. J’étais tremblant de haine, j’aurais découpé en morceaux le Cheikh Nouredine et Bassam. Et moi-même, aussi. Je me serais découpé en morceaux. Assis sur mon lit je me demandais quoi faire. Je n’avais pas envie de rester là. J’étais plein d’une énergie surhumaine, d’une colère d’une puissance inouïe. J’ai pris tout l’argent que je possédais et je suis sorti. Le Groupe était de nouveau en prière, j’ai traversé la grande pièce sans aucune discrétion, Bassam a levé la tête de sa prosternation pour me faire un signe, je suis sorti en claquant la porte.


J’avais deux cents dirhams en poche, de quoi me payer des verres. J’ai hésité à les donner au libraire en guise de dédommagement, mais j’avais trop honte pour y retourner. En plus il était peut-être à l’hôpital. J’espérais que Bassam ne lui avait rien cassé, j’aurais dû retourner ma trique contre le Cheikh Nouredine, ça lui aurait fait du bien, de recevoir quelques gnons. Le regard de Bassam m’avait effrayé. C’était une mise à l’épreuve. Et maintenant, qu’est-ce que j’allais foutre, quitter le Groupe, retourner à la rue, chercher du travail ? On verrait ça demain. Pour le moment, oublier ma misère.

Перейти на страницу:

Все книги серии Domaine français

Zone
Zone

LE POINT DE VUE DES ÉDITEURSPar une nuit décisive, un voyageur lourd de secrets prend le train de Milan pour Rome, muni d'un précieux viatique qu'il doit vendre le lendemain à un représentant du Vatican pour ensuite — si tout va bien — changer de vie. Quinze années d'activité comme agent de renseignements dans sa Zone (d'abord l'Algérie puis, progressivement, tout le Proche-Orient) ont livré à Francis Servain Mirkovic les noms et la mémoire de tous les acteurs de l'ombre (agitateurs et terroristes, marchands d'armes et trafiquants, commanditaires ou intermédiaires, cerveaux et exécutants, criminels de guerre en fuite…). Mais lui-même a accompli sa part de carnage lorsque la guerre en Croatie et en Bosnie l'a jeté dans le cycle enivrant de la violence.Trajet, réminiscences, aiguillages, aller-retour dans les arcanes de la colère des dieux. Zeus, Athéna aux yeux pers et Arès le furieux guident les souvenirs du passager de la nuit. Le train démarre et, avec lui, commence une immense phrase itérative, circulatoire et archéologique, qui explore l'espace-temps pour exhumer les tesselles de toutes les guerres méditerranéennes. Car peu à peu prend forme une fresque homérique où se mêlent bourreaux et victimes, héros et anonymes, peuples déportés ou génocidés, mercenaires et témoins, peintres et littérateurs, évangélistes et martyrs… Et aussi les Parques de sa vie intérieure : Intissar l'imaginaire, la paisible Marianne, la trop perspicace Stéphanie, la silencieuse Sashka…S'il fallait d'une image représenter la violence de tout un siècle, sans doute faudrait-il choisir un convoi, un transport d'armes, de troupes, d'hommes acheminés vers une œuvre de mort. Cinquante ans après La Modification de Michel Butor, le nouveau roman de Mathias Enard compose un palimpseste ferroviaire en vingt-quatre "chants" conduits d'un seul souffle et magistralement orchestrés, comme une Iliade de notre temps.Né en 1972, Mathias Enard a étudié le persan et l'arabe et fait de longs séjours au Moyen-Orient. Il vit à Barcelone. Il a publié deux romans chez Actes Sud : La Perfection du tir (2003) — Prix des cinq continents de la francophonie, 2004 — qui paraît en Babel, et Remonter l'Orénoque (2005). Ainsi que, chez Verticales, Bréviaire des artificiers (2007).

Матиас Энар

Современная русская и зарубежная проза
Rue des Voleurs
Rue des Voleurs

LE POINT DE VUE DES ÉDITEURSC'est un jeune Marocain de Tanger, un garçon sans histoire, un musulman passable, juste trop avide de liberté et d'épanouissement, dans une société peu libertaire. Au lycée, il a appris quelques bribes d'espagnol, assez de français pour se gaver de Série Noire. Il attend l'âge adulte en lorgnant les seins de sa cousine Meryem. C'est avec elle qu'il va "fauter", une fois et une seule. On les surprend : les coups pleuvent, le voici à la rue, sans foi ni loi.Commence alors une dérive qui l'amènera à servir les textes — et les morts — de manières inattendues, à confronter ses cauchemars au réel, à tutoyer l'amour et les projets d'exil.Dans Rue des Voleurs, roman à vif et sur le vif, l'auteur de Zone retrouve son territoire hypersensible à l'heure du Printemps arabe et des révoltes indignées. Tandis que la Méditerranée s'embrase, l'Europe vacille. Il faut toute la jeunesse, toute la naïveté, toute l'énergie du jeune Tangérois pour traverser sans rebrousser chemin le champ de bataille. Parcours d'un combattant sans cause, Rue des Voleurs est porté par le rêve d'improbables apaisements, dans un avenir d'avance confisqué, qu'éclairent pourtant la compagnie des livres, l'amour de l'écrit et l'affirmation d'un humanisme arabe.Mathias Énard est l'auteur de quatre romans chez Actes Sud : La Perfection du tir (2003, prix des Cinq Continents de la francophonie), Remonter l'Orénoque (2005 ; adapté au cinéma en 2012 par Marion Laine sous le titre À cœur ouvert avec Juliette Binoche et Edgar Ramirez), Zone (2008, prix Décembre 2008 ; prix du Livre Inter 2009) et Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants (2010, prix Goncourt des lycéens 2010).

Матиас Энар

Современная русская и зарубежная проза

Похожие книги

Измена в новогоднюю ночь (СИ)
Измена в новогоднюю ночь (СИ)

"Все маски будут сброшены" – такое предсказание я получила в канун Нового года. Я посчитала это ерундой, но когда в новогоднюю ночь застала своего любимого в постели с лучшей подругой, поняла, насколько предсказание оказалось правдиво. Толкаю дверь в спальню и тут же замираю, забывая дышать. Всё как я мечтала. Огромная кровать, украшенная огоньками и сердечками, вокруг лепестки роз. Только среди этой красоты любимый прямо сейчас целует не меня. Мою подругу! Его руки жадно ласкают её обнажённое тело. В этот момент Таня распахивает глаза, и мы встречаемся с ней взглядами. Я пропадаю окончательно. Её наглая улыбка пронзает стрелой моё остановившееся сердце. На лице лучшей подруги я не вижу ни удивления, ни раскаяния. Наоборот, там триумф и победная улыбка.

Екатерина Янова

Проза / Современная русская и зарубежная проза / Самиздат, сетевая литература / Современная проза
Презумпция виновности
Презумпция виновности

Следователь по особо важным делам Генпрокуратуры Кряжин расследует чрезвычайное преступление. На первый взгляд ничего особенного – в городе Холмске убит профессор Головацкий. Но «важняк» хорошо знает, в чем причина гибели ученого, – изобретению Головацкого без преувеличения нет цены. Точнее, все-таки есть, но заоблачная, почти нереальная – сто миллионов долларов! Мимо такого куша не сможет пройти ни один охотник… Однако задача «важняка» не только в поиске убийц. Об истинной цели командировки Кряжина не догадывается никто из его команды, как местной, так и присланной из Москвы…

Андрей Георгиевич Дашков , Виталий Тролефф , Вячеслав Юрьевич Денисов , Лариса Григорьевна Матрос

Боевик / Детективы / Иронический детектив, дамский детективный роман / Современная русская и зарубежная проза / Ужасы / Боевики