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Dehors un vent glacial venu de l’océan prenait l’avenue en enfilade, la ville était déserte, même devant les Canons il y avait très peu de monde, quelques touristes rentraient dans les hôtels chics, j’ai dévalé la rue vers le Grand Zoco, fait un tour de place machinalement, acheté un paquet de clopes sans y penser, deux bonshommes que j’avais déjà vus se réchauffaient autour d’un brasero, je leur ai marchandé un bout de kif en échange d’un des billets qui me restaient, je suis allé le fumer discrètement sur un banc un peu à l’écart. Tout est devenu silencieux. La drogue m’a calmé. La ville s’est recouverte d’un voile calme et noir, j’étais loin tout à coup, derrière un mur entre mon corps et le monde, j’ai repensé au libraire, au gardien de parking, au Cheikh Nouredine, à Bassam, comme s’ils m’étaient complètement étrangers, comme si tout cela n’avait aucune importance. Tanger était une impasse sombre, un corridor bouché par la mer ; le détroit de Gibraltar une fente, un abîme qui barrait nos songes ; le Nord était un mirage. Je me suis vu perdu une fois de plus, et la seule terre ferme qu’il y avait sous mes pieds et derrière moi, c’était d’un côté l’immense Afrique jusqu’au Cap et vers l’est tous ces pays en flammes, l’Algérie, la Tunisie, la Libye, l’Égypte, la Palestine, la Syrie. Je me suis roulé un deuxième joint bien chargé en pensant que ce shit venait du Rif, que Meryem en avait peut-être vu pousser les plantes depuis ses fenêtres, qu’elle en avait elle-même pressé le pollen dans de grandes claies, avant d’en mouler la pâte obscurcie par l’oxydation, de l’entourer d’un film transparent ; elle gardait dans ses poches les miettes qu’elle grattait sur le plastique de ses gants, pour les manger dans la solitude, et rire toute seule ou s’endormir, rêver, peut-être et se rappeler les quelques heures que nous avions passées ensemble, comment je l’avais déshabillée presque sans vouloir, timidement, après qu’elle m’eut embrassé sur la bouche en me tenant la main, et il y avait une tendresse simple et belle dans ces souvenirs rehaussés par le hasch, j’y reprenais un peu de joie. La danse des lumières de Tanger accélérait mes pensées, il me fallait un plan, pas question cette fois-ci de tout plaquer sans rien, de retrouver la boue et l’humiliation. J’ai repensé à mes parents, à ma mère surtout, à mes petits frères, que pouvaient-ils savoir, penser de moi, la sourate de Joseph m’est revenue en mémoire, Mon père, j’ai vu onze étoiles se prosterner devant moi, et le soleil et la lune

, j’avais oublié que je connaissais ces versets par cœur, Joseph vendu pour moins que rien à un marchand d’Égypte, Joseph que Dieu instruit dans l’interprétation des rêves, Joseph que tente Zuleykha. Les feux des ferries striaient le Détroit, une caravane maritime. Je pourrais peut-être trouver du travail dans le nouveau port de Tanger Med ou dans la Zone Franche, puis après quelque temps réussir à émigrer, après tout c’est Bassam qui avait raison, il faut partir, il faut partir, les ports nous brûlent le cœur. La solitude devenait une masse de brume, un nuage épais, celui du Mal ou de la peur ; j’avais une légère nausée. Je commençais à trembler de froid sur mon banc et j’avais faim tout à coup, très faim.

Après avoir ingurgité un sandwich en deux bouchées sur le chemin je suis rentré dans ma chambre de la Diffusion ; tout y était désert, silencieux, d’un silence qui me frappait les tympans ; je me suis endormi comme un sac.


Le lendemain matin, j’avais un cendrier dans la bouche et les yeux rouges, mais j’étais à peu près en forme. J’ai rangé quelques bouquins, petit-déjeuné, lu le commentaire de la sourate de Joseph dans le Kashshâf

, le soleil se répandait sur les tapis. Par instants, les visages de la veille me revenaient en mémoire, le libraire en larmes, la moustache du chien de parking, comme une remontée d’égouts que j’essayais de juguler en me concentrant sur ma lecture. Je tentais de me convaincre, ce qui est fait est fait. Ce qui est fait est fait. Ce qui compte c’est l’avenir.

Le Cheikh Nouredine a réapparu en début d’après-midi, en civil, c’est-à-dire en costume bleu foncé, assez élégant. Il m’a salué avec courtoisie, je dirais même avec chaleur. Il m’a demandé si j’avais préparé les livres (on était jeudi) j’ai répondu oui. Il m’a dit parfait. Ce soir nous avons une réunion à l’extérieur, je serai là demain matin. Et il est sorti. Aucune remarque, aucune allusion à l’excursion punitive de la veille.

Je retrouvais enfin la solitude. J’ai regardé quelques pages Internet, envoyé des messages Facebook à des filles que je ne connaissais pas, toutes françaises, comme des bouteilles à la mer. Je suis un jeune Marocain de Tanger, je recherche votre amitié pour partager ma passion : les livres.

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Zone
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LE POINT DE VUE DES ÉDITEURSPar une nuit décisive, un voyageur lourd de secrets prend le train de Milan pour Rome, muni d'un précieux viatique qu'il doit vendre le lendemain à un représentant du Vatican pour ensuite — si tout va bien — changer de vie. Quinze années d'activité comme agent de renseignements dans sa Zone (d'abord l'Algérie puis, progressivement, tout le Proche-Orient) ont livré à Francis Servain Mirkovic les noms et la mémoire de tous les acteurs de l'ombre (agitateurs et terroristes, marchands d'armes et trafiquants, commanditaires ou intermédiaires, cerveaux et exécutants, criminels de guerre en fuite…). Mais lui-même a accompli sa part de carnage lorsque la guerre en Croatie et en Bosnie l'a jeté dans le cycle enivrant de la violence.Trajet, réminiscences, aiguillages, aller-retour dans les arcanes de la colère des dieux. Zeus, Athéna aux yeux pers et Arès le furieux guident les souvenirs du passager de la nuit. Le train démarre et, avec lui, commence une immense phrase itérative, circulatoire et archéologique, qui explore l'espace-temps pour exhumer les tesselles de toutes les guerres méditerranéennes. Car peu à peu prend forme une fresque homérique où se mêlent bourreaux et victimes, héros et anonymes, peuples déportés ou génocidés, mercenaires et témoins, peintres et littérateurs, évangélistes et martyrs… Et aussi les Parques de sa vie intérieure : Intissar l'imaginaire, la paisible Marianne, la trop perspicace Stéphanie, la silencieuse Sashka…S'il fallait d'une image représenter la violence de tout un siècle, sans doute faudrait-il choisir un convoi, un transport d'armes, de troupes, d'hommes acheminés vers une œuvre de mort. Cinquante ans après La Modification de Michel Butor, le nouveau roman de Mathias Enard compose un palimpseste ferroviaire en vingt-quatre "chants" conduits d'un seul souffle et magistralement orchestrés, comme une Iliade de notre temps.Né en 1972, Mathias Enard a étudié le persan et l'arabe et fait de longs séjours au Moyen-Orient. Il vit à Barcelone. Il a publié deux romans chez Actes Sud : La Perfection du tir (2003) — Prix des cinq continents de la francophonie, 2004 — qui paraît en Babel, et Remonter l'Orénoque (2005). Ainsi que, chez Verticales, Bréviaire des artificiers (2007).

Матиас Энар

Современная русская и зарубежная проза
Rue des Voleurs
Rue des Voleurs

LE POINT DE VUE DES ÉDITEURSC'est un jeune Marocain de Tanger, un garçon sans histoire, un musulman passable, juste trop avide de liberté et d'épanouissement, dans une société peu libertaire. Au lycée, il a appris quelques bribes d'espagnol, assez de français pour se gaver de Série Noire. Il attend l'âge adulte en lorgnant les seins de sa cousine Meryem. C'est avec elle qu'il va "fauter", une fois et une seule. On les surprend : les coups pleuvent, le voici à la rue, sans foi ni loi.Commence alors une dérive qui l'amènera à servir les textes — et les morts — de manières inattendues, à confronter ses cauchemars au réel, à tutoyer l'amour et les projets d'exil.Dans Rue des Voleurs, roman à vif et sur le vif, l'auteur de Zone retrouve son territoire hypersensible à l'heure du Printemps arabe et des révoltes indignées. Tandis que la Méditerranée s'embrase, l'Europe vacille. Il faut toute la jeunesse, toute la naïveté, toute l'énergie du jeune Tangérois pour traverser sans rebrousser chemin le champ de bataille. Parcours d'un combattant sans cause, Rue des Voleurs est porté par le rêve d'improbables apaisements, dans un avenir d'avance confisqué, qu'éclairent pourtant la compagnie des livres, l'amour de l'écrit et l'affirmation d'un humanisme arabe.Mathias Énard est l'auteur de quatre romans chez Actes Sud : La Perfection du tir (2003, prix des Cinq Continents de la francophonie), Remonter l'Orénoque (2005 ; adapté au cinéma en 2012 par Marion Laine sous le titre À cœur ouvert avec Juliette Binoche et Edgar Ramirez), Zone (2008, prix Décembre 2008 ; prix du Livre Inter 2009) et Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants (2010, prix Goncourt des lycéens 2010).

Матиас Энар

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