Je
J’ai somnolé un peu, en rêvassant aux jeunes femmes susdites. Ensuite, j’ai relu le début de
Je suis resté allongé par terre sans lumière jusqu’à ce qu’il fasse nuit noire.
Bassam est entré en trombe, il a failli me marcher dessus.
— Qu’est-ce que tu fous dans le noir ? Tu dormais ?
— Pas vraiment, j’ai dit.
Il était surexcité, comme d’habitude. Il tournait en rond comme un chiot autour du panier de sa mère.
— Qu’est-ce qui t’arrive encore ? j’ai demandé. Un type de plus à tabasser ?
— Non, cette fois-ci c’est plus gros que ça.
— C’est le sabre du Prophète ?
— Arrête tes blasphèmes, mécréant. C’est l’heure de la vengeance.
J’ai cru un instant qu’il rigolait, mais après avoir allumé la lumière j’ai pu vérifier que ses yeux de fouine brillaient d’une folie étrange, au milieu de sa bonne grosse tête de plouc.
— C’est quoi ces nouvelles conneries ?
Il m’a servi un embryon de théorie paranoïaque selon laquelle seul un attentat qui frapperait les esprits ferait bouger les choses en précipitant l’Occident, la population et le Palais dans la confrontation. C’était tout à fait Cheikh Nouredine, mais très peu Bassam. Il avait un petit pois à la place du cerveau.
— Tu as un petit pois à la place du cerveau, j’ai dit.
En plus je savais très bien qu’au fond l’Islam politique lui était égal. Après tout, on était tombés dans la religion quand on était petits, on était servis.
— Laisse tomber ces histoires d’attentat, viens, on va aller faire un tour. Le Cheikh ne reviendra pas avant demain.
J’ai vu Bassam me regarder fixement comme si c’était moi qui étais complètement cinglé.
— Je dois prier pour me purifier.
J’ai soupiré. Je me demandais ce que lui avait fait le Cheikh Nouredine, ou ce qu’il lui avait promis. Des houris en Paradis, peut-être. Bassam avait un faible pour les histoires de houris toujours vierges qu’on pouvait baiser pour l’éternité au bord du Kowthar, le lac d’abondance de l’au-delà.
Mais moi aussi j’avais mes houris.
— Tu sais, j’ai fait la connaissance de deux chouettes filles, hier soir, deux étudiantes espagnoles. Elles restent jusqu’à demain. On a fumé un joint ensemble, et je devrais les retrouver tout à l’heure.
— Arrête tes conneries.
Son œil s’était allumé.
Ça réfléchissait dur, dans sa tête.
— Je te crois pas.
— C’est pas la question. J’ai besoin que tu viennes avec moi, pour occuper la deuxième. Je ne vais pas te mentir, c’est la moins jolie des deux, mais elle est sympa tout de même. Allez, rends-moi ce service.
— Ah, elles s’appellent comment ?
Ça y était, j’avais emporté le morceau.
— La tienne s’appelle Inés et la mienne Carmen.
J’aurais pu trouver plus original, mais j’avais sorti ça de but en blanc, sans hésiter une seconde.
— Et elles ont quel âge ?
— Je ne sais pas, vingt-quatre, vingt-cinq ans, j’ai dit.
— Ah là, ah là, c’est vraiment trop con, mais j’ai promis au Cheikh de rester ici en attendant les ordres. De passer la nuit en prière.
— On peut rester un moment avec elles, et ensuite tu rentres prier, qu’est-ce que ça change ?
Si toutes les recrues du Cheikh Nouredine sont aussi facilement manipulables que Bassam, la victoire de l’Islam n’est pas pour demain, j’ai pensé.
Il a eu soudain l’air soulagé de celui qui a pris une décision douloureuse.
— OK, mais juste un petit tour, d’accord ? Après, je rentre.
— Comme tu voudras.
Maintenant me voilà bien avancé, j’ai pensé. Je vais me faire hacher menu quand il va découvrir que la grosse Inés et la belle Carmen nous ont fait faux bond.
Pas grave, on avisera.
Et ce sera toujours quelque chose que le Cheikh Nouredine n’aura pas, ces quelques heures de prière. Une minuscule vengeance.
Bassam s’est aspergé de ma lotion capillaire, il a soufflé dans sa paluche pour vérifier la qualité de son haleine, il frétillait.
— On va parler espagnol sur le chemin pour s’entraîner un peu, il a dit.
—
Et on est partis ; une légère pluie tiède commençait à tomber.