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On échangeait nos châteaux en Espagne, les seins de Meryem contre l’émigration ; on méditait ainsi pendant des heures, face au Détroit et ensuite on rentrait chez nous, à pied, lui pour aller à la prière du soir, moi pour essayer d’apercevoir ma cousine une fois de plus. On avait dix-sept ans, mais plutôt douze dans nos têtes. On n’était pas très malins.

Quelques mois plus tard je prenais ma première trempe, une avalanche de beignes comme je n’en avais jamais connu, j’ai fini à moitié assommé et en larmes, autant à cause de la douleur que de l’humiliation, mon père pleurait lui aussi, de honte, et il récitait des formules de conjuration, Dieu nous protège du malheur, Dieu nous aide, Il n’y a de Dieu que Dieu et tout le toutim, en rajoutant des baffes et des coups de ceinture, pendant que ma mère gémissait dans un coin, elle pleurait elle aussi et me regardait comme si j’étais le démon en personne, et quand mon père a été épuisé, qu’il n’a plus pu me taper dessus, il y a eu un grand silence, un immense silence, ils m’observaient tous les deux fixement. J’étais un étranger, j’ai senti que ces regards me propulsaient vers l’extérieur, j’étais humilié et terrorisé, mon père avait les yeux pleins de haine, je suis parti en courant. J’ai claqué la porte derrière moi, sur le palier j’ai entendu Meryem pleurer et crier à travers la porte, les coups claquaient, on percevait des injures, chienne, salope, j’ai descendu les marches en courant, une fois dehors je me suis aperçu que je saignais du nez, que j’étais en chemise, que j’avais juste dix dirhams en poche et nulle part où aller. C’était le début de l’été, heureusement, le soir était tiède, l’air salé. Je me suis assis par terre contre le tronc d’un eucalyptus, j’ai pris ma tête dans mes mains et j’ai chialé comme un gosse, jusqu’à ce que la nuit tombe et qu’on appelle à la prière. Je me suis levé, j’avais peur ; je savais que je ne rentrerais pas chez moi, que je ne rentrerais plus, c’était impossible. Qu’est-ce que j’allais faire ? Je suis allé à la mosquée du quartier, voir si je pouvais attraper Bassam à la sortie. Il m’a vu, a ouvert de grands yeux, je lui ai fait signe de larguer son paternel et de me suivre. Putain, t’as vu ta gueule ? Qu’est-ce qui t’est arrivé ? Mon vieux nous a surpris à poil avec Meryem, j’ai dit, et rien que le souvenir de ce moment me faisait serrer les dents, des larmes de rage m’encombraient les yeux. La honte, la terrible honte d’avoir été découverts nus, nos corps exposés, la honte brûlante qui, même aujourd’hui, me paralyse encore — Bassam a sifflé bordel, ce que t’as pas dû prendre, en effet, j’ai dit, en effet, sans entrer dans les détails. Et qu’est-ce que tu vas faire, maintenant ? J’en sais rien. Mais je ne peux pas rentrer chez moi. Tu vas dormir où, m’a demandé Bassam. Aucune idée. Tu as de l’argent ? Vingt dirhams et un livre, c’est tout. Il m’a filé quelques pièces qui traînaient dans ses poches. Il faut que j’y aille. On se voit demain ? Comme d’habitude ? J’ai dit d’accord, et il est parti. J’ai fait un tour en ville, un peu perdu. J’ai remonté l’avenue Pasteur, puis je suis descendu au bord de la mer par les petites rues en pente ; il y avait des lumières rouges dans les bars à entraîneuses, des types louches assis devant des devantures. Sur la corniche, des couples se promenaient tranquillement, bras dessus bras dessous, ça m’a fait penser à Meryem. Je suis revenu vers le port, et je suis remonté jusqu’aux Tombeaux ; je me suis assis face au Détroit, il y avait de belles lumières en Espagne ; j’imaginais les gens danser sur les plages, la liberté, les femmes, les voitures ; qu’est-ce que j’allais bien pouvoir foutre, sans toit, sans argent ? Faire la manche ? Travailler ? Il fallait que je rentre chez moi. Cette perspective me détruisait à l’avance. Impossible. Je me suis allongé, j’ai regardé les étoiles, longtemps. J’ai somnolé jusqu’à ce que le froid de l’aube m’oblige à me lever et à marcher pour me réchauffer. J’avais mal partout, les coups, mais aussi les courbatures de la nuit à même le rocher. Si j’avais su, je serais rentré chez moi bien sagement, j’aurais imploré le pardon de mon père. Si je n’avais pas été aussi orgueilleux, c’est ce que j’aurais dû faire, j’aurais évité bien des humiliations et des blessures, peut-être serais-je devenu épicier moi-même, peut-être aurais-je épousé Meryem, peut-être à l’heure qu’il est serais-je à Tanger, en train de dîner dans un beau restaurant du front de mer ou de mettre des tannées à mes gosses, toute une portée de chiots gueulards et affamés.


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Zone
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LE POINT DE VUE DES ÉDITEURSPar une nuit décisive, un voyageur lourd de secrets prend le train de Milan pour Rome, muni d'un précieux viatique qu'il doit vendre le lendemain à un représentant du Vatican pour ensuite — si tout va bien — changer de vie. Quinze années d'activité comme agent de renseignements dans sa Zone (d'abord l'Algérie puis, progressivement, tout le Proche-Orient) ont livré à Francis Servain Mirkovic les noms et la mémoire de tous les acteurs de l'ombre (agitateurs et terroristes, marchands d'armes et trafiquants, commanditaires ou intermédiaires, cerveaux et exécutants, criminels de guerre en fuite…). Mais lui-même a accompli sa part de carnage lorsque la guerre en Croatie et en Bosnie l'a jeté dans le cycle enivrant de la violence.Trajet, réminiscences, aiguillages, aller-retour dans les arcanes de la colère des dieux. Zeus, Athéna aux yeux pers et Arès le furieux guident les souvenirs du passager de la nuit. Le train démarre et, avec lui, commence une immense phrase itérative, circulatoire et archéologique, qui explore l'espace-temps pour exhumer les tesselles de toutes les guerres méditerranéennes. Car peu à peu prend forme une fresque homérique où se mêlent bourreaux et victimes, héros et anonymes, peuples déportés ou génocidés, mercenaires et témoins, peintres et littérateurs, évangélistes et martyrs… Et aussi les Parques de sa vie intérieure : Intissar l'imaginaire, la paisible Marianne, la trop perspicace Stéphanie, la silencieuse Sashka…S'il fallait d'une image représenter la violence de tout un siècle, sans doute faudrait-il choisir un convoi, un transport d'armes, de troupes, d'hommes acheminés vers une œuvre de mort. Cinquante ans après La Modification de Michel Butor, le nouveau roman de Mathias Enard compose un palimpseste ferroviaire en vingt-quatre "chants" conduits d'un seul souffle et magistralement orchestrés, comme une Iliade de notre temps.Né en 1972, Mathias Enard a étudié le persan et l'arabe et fait de longs séjours au Moyen-Orient. Il vit à Barcelone. Il a publié deux romans chez Actes Sud : La Perfection du tir (2003) — Prix des cinq continents de la francophonie, 2004 — qui paraît en Babel, et Remonter l'Orénoque (2005). Ainsi que, chez Verticales, Bréviaire des artificiers (2007).

Матиас Энар

Современная русская и зарубежная проза
Rue des Voleurs
Rue des Voleurs

LE POINT DE VUE DES ÉDITEURSC'est un jeune Marocain de Tanger, un garçon sans histoire, un musulman passable, juste trop avide de liberté et d'épanouissement, dans une société peu libertaire. Au lycée, il a appris quelques bribes d'espagnol, assez de français pour se gaver de Série Noire. Il attend l'âge adulte en lorgnant les seins de sa cousine Meryem. C'est avec elle qu'il va "fauter", une fois et une seule. On les surprend : les coups pleuvent, le voici à la rue, sans foi ni loi.Commence alors une dérive qui l'amènera à servir les textes — et les morts — de manières inattendues, à confronter ses cauchemars au réel, à tutoyer l'amour et les projets d'exil.Dans Rue des Voleurs, roman à vif et sur le vif, l'auteur de Zone retrouve son territoire hypersensible à l'heure du Printemps arabe et des révoltes indignées. Tandis que la Méditerranée s'embrase, l'Europe vacille. Il faut toute la jeunesse, toute la naïveté, toute l'énergie du jeune Tangérois pour traverser sans rebrousser chemin le champ de bataille. Parcours d'un combattant sans cause, Rue des Voleurs est porté par le rêve d'improbables apaisements, dans un avenir d'avance confisqué, qu'éclairent pourtant la compagnie des livres, l'amour de l'écrit et l'affirmation d'un humanisme arabe.Mathias Énard est l'auteur de quatre romans chez Actes Sud : La Perfection du tir (2003, prix des Cinq Continents de la francophonie), Remonter l'Orénoque (2005 ; adapté au cinéma en 2012 par Marion Laine sous le titre À cœur ouvert avec Juliette Binoche et Edgar Ramirez), Zone (2008, prix Décembre 2008 ; prix du Livre Inter 2009) et Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants (2010, prix Goncourt des lycéens 2010).

Матиас Энар

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