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J’ai eu faim, j’ai bouffé des fruits pourris que les maraîchers laissaient aux mendiants, j’ai dû me battre pour des pommes mâchées, puis des oranges moisies, balancer des torgnoles à des tarés en tout genre, des unijambistes, des mongoliens, une horde de crève-la-faim qui rôdaient comme moi autour du marché ; j’ai eu froid, j’ai passé des nuits trempé à l’automne, quand les orages s’abattaient sur la ville, chassant les gueux sous les arcades, dans les recoins de la Médina, dans les immeubles en construction où l’on devait corrompre le gardien pour qu’il vous laisse rester au sec ; à l’hiver je suis parti vers le sud, sans rien y trouver d’autre que des flics qui ont fini par me rouer de coups dans un commissariat lépreux de Casablanca pour m’encourager à rentrer chez mes parents ; j’ai dégotté un camion pour Tanger, un brave type qui m’a filé la moitié de son casse-dalle et une beigne parce que je refusais de lui servir de fille et lorsque je suis passé voir Bassam, lorsque j’ai osé remettre les pieds dans le quartier, j’avais perdu Dieu sait combien de kilos, mes vêtements étaient en loques, je n’avais plus lu un livre depuis des mois et je venais d’avoir dix-huit ans. Peu de chance qu’on me reconnaisse. J’étais épuisé. Je tremblais. J’étais à moitié propre, je me lavais dans les cours des mosquées, sous l’œil réprobateur des concierges et des Imams, ensuite j’étais obligé d’aller faire semblant de prier pour me réchauffer un peu sur des tapis confortables, je prenais un Coran dans un coin et je dormais assis, le volume sur les genoux, avec un air inspiré, jusqu’à ce qu’un vrai croyant s’énerve de me voir ronfler sur le Saint Texte et me foute dehors, avec un coup de pied au cul et parfois dix dirhams pour que j’aille me faire pendre ailleurs. Je voulais voir Bassam pour qu’il rende visite à mes parents, qu’il leur dise que j’étais désolé, que j’avais beaucoup souffert et que je désirais rentrer à la maison. Je me souviens, je pensais souvent à ma mère. À Meryem, aussi. Dans les moments les plus durs, les moments horribles où il fallait s’humilier devant un gardien de parking ou un policier, quand l’odeur atroce de ma honte s’échappait des plis de leurs vêtements, je fermais les yeux et je pensais au parfum de la peau de Meryem, à ces quelques heures avec elle. J’étais sonné par la vitesse à laquelle un monde pouvait changer.

On devient l’équivalent humain du pigeon ou de la mouette. Les gens nous voient sans nous voir, parfois ils nous donnent des coups de pied pour que nous disparaissions et peu, bien peu, imaginent sur quel bastingage, sur quel balcon nous dormons, la nuit. Je me demande à quoi je pensais, à l’époque. Comment j’ai tenu. Pourquoi je ne suis pas tout simplement rentré au bout de deux jours chez mon père m’effondrer sur le canapé du salon ; pourquoi je ne suis pas allé à la mairie ou Dieu sait où pour demander de l’aide, peut-être parce qu’il y a dans la jeunesse une force infinie, une puissance qui fait que tout glisse, que rien ne nous atteint réellement. Du moins les premiers temps. Mais là, après dix mois de cavale, trois cents jours de honte, je n’en pouvais plus. J’avais payé, peut-être. Et il ne me venait pas de poèmes, pas de considérations philosophiques sur l’existence, pas de repentir sincère, juste une sourde haine et une méfiance accrue envers tout ce qui était humain.

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Zone
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LE POINT DE VUE DES ÉDITEURSPar une nuit décisive, un voyageur lourd de secrets prend le train de Milan pour Rome, muni d'un précieux viatique qu'il doit vendre le lendemain à un représentant du Vatican pour ensuite — si tout va bien — changer de vie. Quinze années d'activité comme agent de renseignements dans sa Zone (d'abord l'Algérie puis, progressivement, tout le Proche-Orient) ont livré à Francis Servain Mirkovic les noms et la mémoire de tous les acteurs de l'ombre (agitateurs et terroristes, marchands d'armes et trafiquants, commanditaires ou intermédiaires, cerveaux et exécutants, criminels de guerre en fuite…). Mais lui-même a accompli sa part de carnage lorsque la guerre en Croatie et en Bosnie l'a jeté dans le cycle enivrant de la violence.Trajet, réminiscences, aiguillages, aller-retour dans les arcanes de la colère des dieux. Zeus, Athéna aux yeux pers et Arès le furieux guident les souvenirs du passager de la nuit. Le train démarre et, avec lui, commence une immense phrase itérative, circulatoire et archéologique, qui explore l'espace-temps pour exhumer les tesselles de toutes les guerres méditerranéennes. Car peu à peu prend forme une fresque homérique où se mêlent bourreaux et victimes, héros et anonymes, peuples déportés ou génocidés, mercenaires et témoins, peintres et littérateurs, évangélistes et martyrs… Et aussi les Parques de sa vie intérieure : Intissar l'imaginaire, la paisible Marianne, la trop perspicace Stéphanie, la silencieuse Sashka…S'il fallait d'une image représenter la violence de tout un siècle, sans doute faudrait-il choisir un convoi, un transport d'armes, de troupes, d'hommes acheminés vers une œuvre de mort. Cinquante ans après La Modification de Michel Butor, le nouveau roman de Mathias Enard compose un palimpseste ferroviaire en vingt-quatre "chants" conduits d'un seul souffle et magistralement orchestrés, comme une Iliade de notre temps.Né en 1972, Mathias Enard a étudié le persan et l'arabe et fait de longs séjours au Moyen-Orient. Il vit à Barcelone. Il a publié deux romans chez Actes Sud : La Perfection du tir (2003) — Prix des cinq continents de la francophonie, 2004 — qui paraît en Babel, et Remonter l'Orénoque (2005). Ainsi que, chez Verticales, Bréviaire des artificiers (2007).

Матиас Энар

Современная русская и зарубежная проза
Rue des Voleurs
Rue des Voleurs

LE POINT DE VUE DES ÉDITEURSC'est un jeune Marocain de Tanger, un garçon sans histoire, un musulman passable, juste trop avide de liberté et d'épanouissement, dans une société peu libertaire. Au lycée, il a appris quelques bribes d'espagnol, assez de français pour se gaver de Série Noire. Il attend l'âge adulte en lorgnant les seins de sa cousine Meryem. C'est avec elle qu'il va "fauter", une fois et une seule. On les surprend : les coups pleuvent, le voici à la rue, sans foi ni loi.Commence alors une dérive qui l'amènera à servir les textes — et les morts — de manières inattendues, à confronter ses cauchemars au réel, à tutoyer l'amour et les projets d'exil.Dans Rue des Voleurs, roman à vif et sur le vif, l'auteur de Zone retrouve son territoire hypersensible à l'heure du Printemps arabe et des révoltes indignées. Tandis que la Méditerranée s'embrase, l'Europe vacille. Il faut toute la jeunesse, toute la naïveté, toute l'énergie du jeune Tangérois pour traverser sans rebrousser chemin le champ de bataille. Parcours d'un combattant sans cause, Rue des Voleurs est porté par le rêve d'improbables apaisements, dans un avenir d'avance confisqué, qu'éclairent pourtant la compagnie des livres, l'amour de l'écrit et l'affirmation d'un humanisme arabe.Mathias Énard est l'auteur de quatre romans chez Actes Sud : La Perfection du tir (2003, prix des Cinq Continents de la francophonie), Remonter l'Orénoque (2005 ; adapté au cinéma en 2012 par Marion Laine sous le titre À cœur ouvert avec Juliette Binoche et Edgar Ramirez), Zone (2008, prix Décembre 2008 ; prix du Livre Inter 2009) et Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants (2010, prix Goncourt des lycéens 2010).

Матиас Энар

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