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Au moins, je n’avais pas à me préoccuper de mes cartons, à quelque chose malheur est bon. Quand on part en voyage, disait le Prophète, il faut régler ses affaires comme si on allait mourir. J’avais revu le libraire ; la Diffusion brûlait, et toutes mes possessions avec ; il ne me restait que mes parents. Depuis quelques jours, et malgré l’altercation avec mon frère, j’avais très envie de revoir ma mère. Pas aujourd’hui. Pas la force. L’adrénaline refluait petit à petit, je me suis endormi dans l’autobus qui m’emmenait vers le centre. J’étais soudain épuisé. Je n’arrivais pas à penser. Savoir quoi ou qui avait pu provoquer l’incendie m’était complètement égal. Je suis descendu du côté du Grand Zoco, un peu hagard. Drôle de journée. Il fallait que je trouve maintenant un endroit où dormir ; j’ai hésité à prendre une chambre dans le même hôtel que Judit, mais c’était peut-être un peu violent, qu’elle me trouve installé dans la piaule d’à côté en arrivant à Tanger. Je n’étais d’ailleurs pas sûr qu’elle loge au même endroit, c’était probable mais pas certain. J’ai choisi une autre pension, pas très loin, un peu plus bas vers le port ; le patron m’a regardé comme si j’étais un lépreux, jeune, marocain et sans valise ; il a exigé que je paye trois nuits d’avance et m’a répété dix fois que son bouge était un endroit respectable.

La turne n’était pas mal, avec un petit balcon de fer forgé, une jolie vue sur le port, les toits de la vieille ville et surtout, le wifi. J’ai cherché des nouvelles de l’incendie sur Internet, ça ne devait pas être un événement de première magnitude, personne n’en parlait pour le moment.

J’ai envoyé un message à Judit, puis je suis sorti pour acheter quelques vêtements et manger un morceau.

J’étais prêt au départ. Je n’avais plus de famille depuis près de deux ans, plus d’amis depuis deux jours, plus de valises depuis deux heures. L’inconscient n’existe pas ; il n’y a que des miettes d’information, des lambeaux de mémoire pas assez importants pour être traités, des bribes comme autrefois ces bandes perforées dont se nourrissaient les ordinateurs ; mes souvenirs sont ces bouts de papier, découpés et jetés en l’air, mélangés, rafistolés, dont j’ignorais qu’ils allaient bientôt se remettre bout à bout dans un sens nouveau. La vie est une machine à arracher l’être ; elle nous dépouille, depuis l’enfance, pour nous repeupler en nous plongeant dans un bain de contacts, de voix, de messages qui nous modifient à l’infini, nous sommes en mouvement ; un cliché instantané ne donne qu’un portrait vide, des noms, un nom unique et pourtant multiple qu’on projette sur nous et qui nous fabrique, qu’on m’appelle Marocain, Maure, Arabe, immigré ou par mon prénom, appelez-moi Ismaël, par exemple, ou ce que vous voudrez — j’allais bientôt être fracassé par une partie de la vérité, et regardez-moi courir dans Tanger, ignorant, sans comprendre ce qui venait de brûler avec le Groupe de Diffusion de la Pensée coranique, accroché à l’espoir de Judit et de mon nouveau travail comme aux deux derniers vaisseaux sur la grève. Par moments j’ai l’impression de retrouver les agissements et les pensées de celui que j’étais à l’époque, mais c’est bien sûr une illusion ; ce jeune homme qui s’achète deux chemises noires, deux jeans, des tee-shirts et une valise est une imitation, comme les vêtements qu’il acquiert ; je croyais que la violence qui m’entourait ne m’affectait pas, qu’elle n’avait rien à voir avec moi, qu’elle n’avait pas de prise sur moi, pas plus que celle de Tripoli, du Caire ou de Damas. Aveuglé, je ne pensais plus qu’à l’arrivée de Judit, à ces vers trop sentimentaux de Nizar Kabbani que nous recopiions, au lycée, dans des messages secrets pour des filles qu’ils émouvaient, ceux que j’avais déjà récités à Meryem,

alors que nous contemplions le Détroit, sans oser nous prendre par la main, et surtout la suite,

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Zone
Zone

LE POINT DE VUE DES ÉDITEURSPar une nuit décisive, un voyageur lourd de secrets prend le train de Milan pour Rome, muni d'un précieux viatique qu'il doit vendre le lendemain à un représentant du Vatican pour ensuite — si tout va bien — changer de vie. Quinze années d'activité comme agent de renseignements dans sa Zone (d'abord l'Algérie puis, progressivement, tout le Proche-Orient) ont livré à Francis Servain Mirkovic les noms et la mémoire de tous les acteurs de l'ombre (agitateurs et terroristes, marchands d'armes et trafiquants, commanditaires ou intermédiaires, cerveaux et exécutants, criminels de guerre en fuite…). Mais lui-même a accompli sa part de carnage lorsque la guerre en Croatie et en Bosnie l'a jeté dans le cycle enivrant de la violence.Trajet, réminiscences, aiguillages, aller-retour dans les arcanes de la colère des dieux. Zeus, Athéna aux yeux pers et Arès le furieux guident les souvenirs du passager de la nuit. Le train démarre et, avec lui, commence une immense phrase itérative, circulatoire et archéologique, qui explore l'espace-temps pour exhumer les tesselles de toutes les guerres méditerranéennes. Car peu à peu prend forme une fresque homérique où se mêlent bourreaux et victimes, héros et anonymes, peuples déportés ou génocidés, mercenaires et témoins, peintres et littérateurs, évangélistes et martyrs… Et aussi les Parques de sa vie intérieure : Intissar l'imaginaire, la paisible Marianne, la trop perspicace Stéphanie, la silencieuse Sashka…S'il fallait d'une image représenter la violence de tout un siècle, sans doute faudrait-il choisir un convoi, un transport d'armes, de troupes, d'hommes acheminés vers une œuvre de mort. Cinquante ans après La Modification de Michel Butor, le nouveau roman de Mathias Enard compose un palimpseste ferroviaire en vingt-quatre "chants" conduits d'un seul souffle et magistralement orchestrés, comme une Iliade de notre temps.Né en 1972, Mathias Enard a étudié le persan et l'arabe et fait de longs séjours au Moyen-Orient. Il vit à Barcelone. Il a publié deux romans chez Actes Sud : La Perfection du tir (2003) — Prix des cinq continents de la francophonie, 2004 — qui paraît en Babel, et Remonter l'Orénoque (2005). Ainsi que, chez Verticales, Bréviaire des artificiers (2007).

Матиас Энар

Современная русская и зарубежная проза
Rue des Voleurs
Rue des Voleurs

LE POINT DE VUE DES ÉDITEURSC'est un jeune Marocain de Tanger, un garçon sans histoire, un musulman passable, juste trop avide de liberté et d'épanouissement, dans une société peu libertaire. Au lycée, il a appris quelques bribes d'espagnol, assez de français pour se gaver de Série Noire. Il attend l'âge adulte en lorgnant les seins de sa cousine Meryem. C'est avec elle qu'il va "fauter", une fois et une seule. On les surprend : les coups pleuvent, le voici à la rue, sans foi ni loi.Commence alors une dérive qui l'amènera à servir les textes — et les morts — de manières inattendues, à confronter ses cauchemars au réel, à tutoyer l'amour et les projets d'exil.Dans Rue des Voleurs, roman à vif et sur le vif, l'auteur de Zone retrouve son territoire hypersensible à l'heure du Printemps arabe et des révoltes indignées. Tandis que la Méditerranée s'embrase, l'Europe vacille. Il faut toute la jeunesse, toute la naïveté, toute l'énergie du jeune Tangérois pour traverser sans rebrousser chemin le champ de bataille. Parcours d'un combattant sans cause, Rue des Voleurs est porté par le rêve d'improbables apaisements, dans un avenir d'avance confisqué, qu'éclairent pourtant la compagnie des livres, l'amour de l'écrit et l'affirmation d'un humanisme arabe.Mathias Énard est l'auteur de quatre romans chez Actes Sud : La Perfection du tir (2003, prix des Cinq Continents de la francophonie), Remonter l'Orénoque (2005 ; adapté au cinéma en 2012 par Marion Laine sous le titre À cœur ouvert avec Juliette Binoche et Edgar Ramirez), Zone (2008, prix Décembre 2008 ; prix du Livre Inter 2009) et Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants (2010, prix Goncourt des lycéens 2010).

Матиас Энар

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