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l’errance parmi les stations de la folie — les yeux de Judit étaient pour le coup, comme le disait ce poète pour dames, les derniers bateaux en partance. Je me souviens, Meryem s’inquiétait ; elle avait peur de notre relation, peur des conséquences, peur, peur de ce que je pouvais lui faire faire ; elle ne savait quelle solution trouver à cet amour adolescent, elle hésitait à se confier à sa mère, après tout elle-même n’était-elle pas mariée à son cousin germain et je me rappelle qu’un jour, alors que j’avais semé Bassam pour la retrouver, loin du quartier, elle me disait craindre que je l’abandonne pour émigrer, j’essayais alors de la rassurer avec les vers de Kabbani, et la vérité, si elle existe, c’est que je me souciais de Meryem comme d’une guigne, d’elle, je veux dire d’elle beaucoup moins que de la satisfaction de mon désir, de ma jouissance, de réussir à la déshabiller, à la caresser et lorsque j’ai enfin compris, après avoir lu sa dernière lettre, dans cette vieille enveloppe récupérée chez Bassam, lorsque j’ai enfin compris que j’étais responsable de sa mort, là-bas dans ce village perdu, de son hémorragie au cours d’un avortement paysan et clandestin, parce que je n’avais pas répondu à son désespoir, pas plus qu’à celui de sa mère, morte de tristesse quelques semaines après, dans ce paradis du Maroc moderne où en théorie aucune femme ne saigne à mort ni ne se suicide jamais ni même ne souffre jamais sous les coups d’aucun mâle car Dieu la famille et les traditions veillent sur elles et rien ne peut les atteindre, si elles sont décentes, si seulement elles étaient décentes, comme disait si bien le Cheikh Nouredine qui lui savait la vérité, comme tout le quartier l’avait apprise, Bassam en tête ; lorsque j’ai su que je ne pouvais plus échapper à cette réalité car elle était aussi sordide et tangible que le chiffre sur un billet de banque, aussi précise et réelle que l’abeille butinant la fleur de safran sur la nouvelle pièce de dix centimes que je rendais avec chacun des livres que je vendais ; quand la mort, figée et immuable tout autant que ces monnaies m’attrapa par l’oreille pour me dire ô mon gars, tu as raté une marche, voici dix-huit mois que tu vis en m’ignorant, il fallait que le monde, que mon monde, soit déjà bien détruit pour ne pas se ruiner encore plus, après cette déflagration ; il fallait qu’il y ait à mes côtés Judit pour que je ne me laisse pas aller aux sanglots, une fois la surprise passée : tout cela confirmait une intuition ; bien sûr moi aussi je savais, mon corps savait, mes rêves savaient même si à ce moment-là, au moment de la disparition de Meryem au bout du Rif, j’étais en train de me faire tabasser dans un commissariat à Casa ou de mendier une pomme sur un marché — mes cauchemars, élucidés, n’en sont devenus que plus douloureux, plus clairs, plus insupportables encore ; ma conscience, plus confuse et toujours moins sûre d’elle, pétrie de regrets et de cette terrible sensation, qui pouvait me tirer des larmes de peine honteuse, avoir, en rêve, pendant des mois, couché avec une morte : avec Meryem qui disparaissait dans le cercueil mangeur de chair quand je la voyais bien vivante au fil des saisons ; elle m’avait accompagné alors qu’elle n’était plus et cela était si mystérieux, si incompréhensible dans mon cœur encore jeune que j’y voyais une trahison dégueulasse, une saloperie plus grande que ma responsabilité dans son décès, une haine qui se retournait contre Bassam, contre ma famille, contre ceux qui m’avaient empêché de pleurer Meryem et m’avaient contraint à la désirer crevée — comme on retire doucement le linceul d’un cadavre pour observer ses seins. Sur la table de marbre, j’avais rêvé de son ventre et de son pubis froids. Elle était là, la honte, là, dans ce glissement du temps ; le temps est une femme de cimetière, une femme en blanc, qui lave des corps d’enfants.

Je m’achetais des chemises le dos courbé, pressentant une catastrophe, sans savoir qu’elle avait déjà eu lieu. J’attribuais ma fébrilité à l’incendie, à l’arrivée de Judit, à l’attentat et à la disparition de Bassam, sans sentir que le plus grave était déjà là ; j’hésitais devant un pyjama, longuement, en espérant que Judit me voie dedans ; j’avais une pensée fugace, un peu attristée tout de même, pour la seule femme qui ne m’avait jamais vu nu, sans savoir qu’elle n’existait plus.

La soirée fut des plus longues.

La solitude et l’attente.

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Zone
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LE POINT DE VUE DES ÉDITEURSPar une nuit décisive, un voyageur lourd de secrets prend le train de Milan pour Rome, muni d'un précieux viatique qu'il doit vendre le lendemain à un représentant du Vatican pour ensuite — si tout va bien — changer de vie. Quinze années d'activité comme agent de renseignements dans sa Zone (d'abord l'Algérie puis, progressivement, tout le Proche-Orient) ont livré à Francis Servain Mirkovic les noms et la mémoire de tous les acteurs de l'ombre (agitateurs et terroristes, marchands d'armes et trafiquants, commanditaires ou intermédiaires, cerveaux et exécutants, criminels de guerre en fuite…). Mais lui-même a accompli sa part de carnage lorsque la guerre en Croatie et en Bosnie l'a jeté dans le cycle enivrant de la violence.Trajet, réminiscences, aiguillages, aller-retour dans les arcanes de la colère des dieux. Zeus, Athéna aux yeux pers et Arès le furieux guident les souvenirs du passager de la nuit. Le train démarre et, avec lui, commence une immense phrase itérative, circulatoire et archéologique, qui explore l'espace-temps pour exhumer les tesselles de toutes les guerres méditerranéennes. Car peu à peu prend forme une fresque homérique où se mêlent bourreaux et victimes, héros et anonymes, peuples déportés ou génocidés, mercenaires et témoins, peintres et littérateurs, évangélistes et martyrs… Et aussi les Parques de sa vie intérieure : Intissar l'imaginaire, la paisible Marianne, la trop perspicace Stéphanie, la silencieuse Sashka…S'il fallait d'une image représenter la violence de tout un siècle, sans doute faudrait-il choisir un convoi, un transport d'armes, de troupes, d'hommes acheminés vers une œuvre de mort. Cinquante ans après La Modification de Michel Butor, le nouveau roman de Mathias Enard compose un palimpseste ferroviaire en vingt-quatre "chants" conduits d'un seul souffle et magistralement orchestrés, comme une Iliade de notre temps.Né en 1972, Mathias Enard a étudié le persan et l'arabe et fait de longs séjours au Moyen-Orient. Il vit à Barcelone. Il a publié deux romans chez Actes Sud : La Perfection du tir (2003) — Prix des cinq continents de la francophonie, 2004 — qui paraît en Babel, et Remonter l'Orénoque (2005). Ainsi que, chez Verticales, Bréviaire des artificiers (2007).

Матиас Энар

Современная русская и зарубежная проза
Rue des Voleurs
Rue des Voleurs

LE POINT DE VUE DES ÉDITEURSC'est un jeune Marocain de Tanger, un garçon sans histoire, un musulman passable, juste trop avide de liberté et d'épanouissement, dans une société peu libertaire. Au lycée, il a appris quelques bribes d'espagnol, assez de français pour se gaver de Série Noire. Il attend l'âge adulte en lorgnant les seins de sa cousine Meryem. C'est avec elle qu'il va "fauter", une fois et une seule. On les surprend : les coups pleuvent, le voici à la rue, sans foi ni loi.Commence alors une dérive qui l'amènera à servir les textes — et les morts — de manières inattendues, à confronter ses cauchemars au réel, à tutoyer l'amour et les projets d'exil.Dans Rue des Voleurs, roman à vif et sur le vif, l'auteur de Zone retrouve son territoire hypersensible à l'heure du Printemps arabe et des révoltes indignées. Tandis que la Méditerranée s'embrase, l'Europe vacille. Il faut toute la jeunesse, toute la naïveté, toute l'énergie du jeune Tangérois pour traverser sans rebrousser chemin le champ de bataille. Parcours d'un combattant sans cause, Rue des Voleurs est porté par le rêve d'improbables apaisements, dans un avenir d'avance confisqué, qu'éclairent pourtant la compagnie des livres, l'amour de l'écrit et l'affirmation d'un humanisme arabe.Mathias Énard est l'auteur de quatre romans chez Actes Sud : La Perfection du tir (2003, prix des Cinq Continents de la francophonie), Remonter l'Orénoque (2005 ; adapté au cinéma en 2012 par Marion Laine sous le titre À cœur ouvert avec Juliette Binoche et Edgar Ramirez), Zone (2008, prix Décembre 2008 ; prix du Livre Inter 2009) et Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants (2010, prix Goncourt des lycéens 2010).

Матиас Энар

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