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J’ai fait mon choix, sans attendre l’issue de l’entretien de l’après-midi. Tout le fric qu’il pouvait y avoir dans le bureau du Cheikh Nouredine, je l’ai rassemblé, même les pièces de dix centimes. J’avais près de quinze ou vingt mille dirhams en devises et en pièces. Plus de cash que personne n’en avait jamais vu, j’aurais pu aller en taxi jusqu’à la banlieue de Nador chercher Meryem, dire j’emporte cette jeune femme, voici dix mille dirhams pour votre peine, personne n’y aurait trouvé à redire.

C’était en avril, mois de la poussière et des mensonges.

J’ai rassemblé mes affaires, la centaine de polars prenait une place pas croyable, j’ai vidé des colis que nous venions de recevoir d’Arabie pour les y mettre : en tout, avec le Kashshâf, Les Histoires des prophètes, le dictionnaire, les livres que j’aimais, il y avait trois gros cartons ; mes quelques vêtements étaient répartis dans chacune des caisses ; en plus j’emportais l’ordinateur portable de la Diffusion, l’écran, le clavier et deux ou trois trucs que je devais conserver.

Un vrai déménagement, et nulle part où aller.

Quand tout a été prêt, je suis parti pour la Zone Franche en autobus ; j’ai laissé toutes mes affaires à la Diffusion, pris seulement le pognon et l’ordinateur portable, ça faisait important, un ordinateur portable. J’imaginais que Jean-François ne se souviendrait pas de moi, ou alors que les secrétaires (Marocaines très brunes, jupes courtes, collants noirs, belles jambes, mépris dans le regard et la voix) ne me laisseraient jamais accéder à leur patron, mais non, dix minutes après mon arrivée dans l’entreprise je serrais la main de Jean-François ; il me vouvoyait maintenant, il a dit tiens, voilà monsieur l’ami de la Série Noire, et du coup les femmes en bas noirs et minijupes ont commencé à considérer le jeune plouc qui venait d’arriver comme un être humain ; le patron a disparu très vite, on m’a enfermé dans une pièce minuscule qui jouxtait le bureau du directeur, un Français est apparu, il m’a tendu un livre ; il m’a dit bon voilà, notre métier c’est faire de ces choses des objets informatiques, recopiez-moi deux pages de ce bouquin sur cet ordinateur. J’ai pris l’objet, l’ai posé sur un lutrin, et j’ai recopié pendant que le Français regardait sa montre, un gros chronomètre brillant, au bout des deux pages j’ai dit OK, ça y est, il a répondu pas mal dites donc, vous avez du nerf, laissez-moi jeter un coup d’œil, ma foi c’est drôlement bien, attendez une seconde. Jean-François a réapparu, l’autre l’appelait monsieur Bourrelier, il a dit pour moi c’est bon monsieur Bourrelier, aucun problème, Jean-François m’a regardé en souriant, il a dit je savais que c’était un bon élément, voyez les détails ensemble, Frédéric.

Frédéric a rappelé la secrétaire, elle m’a pris mes papiers, qu’elle a photocopiés ; Frédéric m’a demandé quand je pouvais commencer, j’ai réfléchi une seconde : si Judit arrivait demain à Tanger j’aurais envie de passer du temps avec elle. Lundi prochain ? Ça me va, a répondu Frédéric. Vous êtes payé à la page, 2 000 signes, 50 centimes d’euro. Ça veut dire à peu près 100 euros pour un livre moyen. Ensuite on vous décompte les corrections, à 2 centimes pièce. En recopiant 20 livres par mois, ça vous fait 2 000 euros, plus ou moins, si le travail est bien fait.

J’ai fait un calcul rapide : pour arriver à 20 livres par mois, disons 200 pages par jour, il fallait recopier 25 pages en 60 minutes. Une page toutes les deux minutes, plus ou moins. Ce Frédéric était un optimiste. Ou un esclavagiste, c’est selon.

— Ce ne serait pas plus simple de scanner les livres ?

— Pour certains, non. Ceux dont le papier est un peu transparent, c’est presque impossible, on obtient n’importe quoi. L’OCR n’y comprend rien, et puis il faut démonter le bouquin, remettre en page, corriger, en fin de compte ça revient plus cher.

J’avais l’impression qu’il parlait chinois, mais bon, il devait savoir ce qu’il faisait.

— Est-ce que je peux emporter le travail à domicile ?

— Oui, bien sûr. Mais vous devez travailler ici au moins cinq heures par jour, pour des raisons fiscales.

— C’est d’accord.

La secrétaire m’a fait signer un contrat, le premier de ma vie.

— Bon, eh bien à lundi. Bienvenue chez nous.

— À lundi, oui. Et merci.

— Merci à vous.

Je suis passé saluer Jean-François, il m’a serré la main en me disant à la semaine prochaine, alors.

Et je suis rentré à Tanger. Sur le trajet, la mer brillait.

Demain Judit arrivait. Dans quinze jours j’avais vingt ans. Le monde était un étrange mélange d’incertitude et d’espoir.

Dans le journal, toujours aucune nouvelle des auteurs de l’attentat de Marrakech.

Il était donc près de sept heures quand je suis arrivé dans le quartier ; la nuit tombait. J’avais eu le temps d’arranger un plan. D’abord je voulais mettre certaines choses au clair ; je me sentais plein d’énergie. Je suis retourné voir le bouquiniste.

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Zone
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LE POINT DE VUE DES ÉDITEURSPar une nuit décisive, un voyageur lourd de secrets prend le train de Milan pour Rome, muni d'un précieux viatique qu'il doit vendre le lendemain à un représentant du Vatican pour ensuite — si tout va bien — changer de vie. Quinze années d'activité comme agent de renseignements dans sa Zone (d'abord l'Algérie puis, progressivement, tout le Proche-Orient) ont livré à Francis Servain Mirkovic les noms et la mémoire de tous les acteurs de l'ombre (agitateurs et terroristes, marchands d'armes et trafiquants, commanditaires ou intermédiaires, cerveaux et exécutants, criminels de guerre en fuite…). Mais lui-même a accompli sa part de carnage lorsque la guerre en Croatie et en Bosnie l'a jeté dans le cycle enivrant de la violence.Trajet, réminiscences, aiguillages, aller-retour dans les arcanes de la colère des dieux. Zeus, Athéna aux yeux pers et Arès le furieux guident les souvenirs du passager de la nuit. Le train démarre et, avec lui, commence une immense phrase itérative, circulatoire et archéologique, qui explore l'espace-temps pour exhumer les tesselles de toutes les guerres méditerranéennes. Car peu à peu prend forme une fresque homérique où se mêlent bourreaux et victimes, héros et anonymes, peuples déportés ou génocidés, mercenaires et témoins, peintres et littérateurs, évangélistes et martyrs… Et aussi les Parques de sa vie intérieure : Intissar l'imaginaire, la paisible Marianne, la trop perspicace Stéphanie, la silencieuse Sashka…S'il fallait d'une image représenter la violence de tout un siècle, sans doute faudrait-il choisir un convoi, un transport d'armes, de troupes, d'hommes acheminés vers une œuvre de mort. Cinquante ans après La Modification de Michel Butor, le nouveau roman de Mathias Enard compose un palimpseste ferroviaire en vingt-quatre "chants" conduits d'un seul souffle et magistralement orchestrés, comme une Iliade de notre temps.Né en 1972, Mathias Enard a étudié le persan et l'arabe et fait de longs séjours au Moyen-Orient. Il vit à Barcelone. Il a publié deux romans chez Actes Sud : La Perfection du tir (2003) — Prix des cinq continents de la francophonie, 2004 — qui paraît en Babel, et Remonter l'Orénoque (2005). Ainsi que, chez Verticales, Bréviaire des artificiers (2007).

Матиас Энар

Современная русская и зарубежная проза
Rue des Voleurs
Rue des Voleurs

LE POINT DE VUE DES ÉDITEURSC'est un jeune Marocain de Tanger, un garçon sans histoire, un musulman passable, juste trop avide de liberté et d'épanouissement, dans une société peu libertaire. Au lycée, il a appris quelques bribes d'espagnol, assez de français pour se gaver de Série Noire. Il attend l'âge adulte en lorgnant les seins de sa cousine Meryem. C'est avec elle qu'il va "fauter", une fois et une seule. On les surprend : les coups pleuvent, le voici à la rue, sans foi ni loi.Commence alors une dérive qui l'amènera à servir les textes — et les morts — de manières inattendues, à confronter ses cauchemars au réel, à tutoyer l'amour et les projets d'exil.Dans Rue des Voleurs, roman à vif et sur le vif, l'auteur de Zone retrouve son territoire hypersensible à l'heure du Printemps arabe et des révoltes indignées. Tandis que la Méditerranée s'embrase, l'Europe vacille. Il faut toute la jeunesse, toute la naïveté, toute l'énergie du jeune Tangérois pour traverser sans rebrousser chemin le champ de bataille. Parcours d'un combattant sans cause, Rue des Voleurs est porté par le rêve d'improbables apaisements, dans un avenir d'avance confisqué, qu'éclairent pourtant la compagnie des livres, l'amour de l'écrit et l'affirmation d'un humanisme arabe.Mathias Énard est l'auteur de quatre romans chez Actes Sud : La Perfection du tir (2003, prix des Cinq Continents de la francophonie), Remonter l'Orénoque (2005 ; adapté au cinéma en 2012 par Marion Laine sous le titre À cœur ouvert avec Juliette Binoche et Edgar Ramirez), Zone (2008, prix Décembre 2008 ; prix du Livre Inter 2009) et Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants (2010, prix Goncourt des lycéens 2010).

Матиас Энар

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