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Je n’en menais pas large en parvenant devant son magasin ; la devanture n’était pas sortie, mais le rideau était levé. J’avais une boule dans la gorge, j’ai rassemblé tout mon courage et j’ai poussé la porte ; après tout je fréquentais cet endroit depuis que j’avais quinze ou seize ans, je n’allais pas laisser le Cheikh Nouredine me le voler.

Le type était assis derrière son bureau, il a relevé la tête ; sur son visage j’ai vu de la surprise, puis de la haine, du mépris ou de la pitié. Je m’étais attendu à des insultes ; je m’étais imaginé lui demandant pardon, il m’aurait pardonné, et nous aurions repris nos conversations comme avant. Il restait silencieux, il me fixait, les sourcils froncés ; il ne disait rien ; il contemplait ma bêtise, me noyait dans ma propre lâcheté ; je rapetissais, écrasé de honte ; je n’arrivais pas à parler, pas à sortir l’enveloppe avec les dirhams que j’avais naïvement préparée pour lui, j’ai murmuré quelques mots, bonjour, pardon, je me suis étranglé et j’ai tourné les talons, j’ai fui une fois de plus, fui face à moi-même ; je suis reparti en courant ; il y a des choses qui ne se réparent pas. D’ailleurs rien ne se répare. En quittant le magasin j’ai imaginé qu’il allait me courir après en me disant “reviens, petit, reviens”, mais non bien sûr, et en y repensant aujourd’hui il est tout à fait logique qu’il n’ait eu que mépris pour un gamin perdu qui avait choisi la trique et le Cheikh Nouredine, aucune pitié. Je marchais vite vers les locaux de la Diffusion, ma culpabilité se transformait en agressivité, j’insultais mentalement le pauvre type, qu’est-ce qui m’avait pris, bon Dieu, de retourner là-bas, et deux petites larmes de rage pointaient au coin de mes yeux, il y avait de la fumée dans la nuit, une fumée épaisse, blanchâtre, mêlée de cendres dispersées par le vent ; une vapeur de colère alourdissait l’air du printemps, une odeur de cramé m’envahissait la gorge et ce n’est qu’en parvenant au coin de la rue, en voyant l’attroupement et les camions de pompiers que j’ai compris que le Groupe pour la Diffusion de la Pensée coranique brûlait ; des flammes hautes de plusieurs mètres sortaient des fenêtres et léchaient l’étage supérieur de l’immeuble ; de l’extérieur, avec leurs lances, des pompiers arrosaient les ouvertures, des bouches aux langues de feu qui crachaient des tonnes de débris de papier à moitié consumés, pendant qu’une escouade de gendarmes essayait tant bien que mal de contenir la foule à distance de la catastrophe. Des centaines de livres partaient dans la brise, envahissaient l’air jusqu’à Larache ou Tarifa ; j’imaginais les blisters fondre, la chaleur attaquer les pages compactes des ouvrages entassés qui finissaient par prendre et transmettre à leur tour la destruction à leurs voisins, je connaissais bien mon stock, près de cette fenêtre-ci c’était la réserve d’Héroïnes

, de Sexualité
et tous les petits manuels, là-bas les mètres cubes de commentaires du Coran, et au beau milieu, sur les tapis en synthétique qui avaient déjà dû se liquéfier, mes cartons, les Série Noire qui s’envolaient elles aussi, les Manchette, les Pronzini, les McBain, les Izzo et toutes mes belles chemises, mes pompes mirifiques, mes vernis ; le cirage devait bien brûler, la lotion capillaire attiserait le tout et bientôt, si les pompiers ne parvenaient pas à maîtriser le feu, ce serait la bouteille de gaz de la cuisine et celle de la salle de bains qui exploseraient, envoyant définitivement dans les airs ce qui restait de l’institution du Cheikh Nouredine.

Les voisins étaient là, je les reconnaissais ; il y en avait un en robe de chambre, il avait jeté une couverture de survie d’argent éclatant sur les épaules de sa femme, qui devait être en petite tenue ; certains étaient silencieux et contrits, d’autres au contraire braillaient et gesticulaient comme des perdus. Les pompiers semblaient avoir du mal à se rendre maîtres de la littérature faite flammes.

Après trois minutes de contemplation morbide et ébahie j’ai été soudain pris de peur ; j’ai dévalé la colline en direction du centre de Tanger. Tout le quartier savait que j’étais le libraire du Groupe de la Diffusion de la Pensée coranique. La police allait sans doute me rechercher, surtout si, comme je l’imaginais, le Groupe était lié de près ou de loin à l’attentat de Marrakech. Je n’avais nulle part où aller. Seules possessions : une sacoche contenant un ordinateur portable, du fric et l’exemplaire du Pain nu de Choukri que m’avait offert Judit et que j’avais pris pour lire dans le bus.

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Zone
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LE POINT DE VUE DES ÉDITEURSPar une nuit décisive, un voyageur lourd de secrets prend le train de Milan pour Rome, muni d'un précieux viatique qu'il doit vendre le lendemain à un représentant du Vatican pour ensuite — si tout va bien — changer de vie. Quinze années d'activité comme agent de renseignements dans sa Zone (d'abord l'Algérie puis, progressivement, tout le Proche-Orient) ont livré à Francis Servain Mirkovic les noms et la mémoire de tous les acteurs de l'ombre (agitateurs et terroristes, marchands d'armes et trafiquants, commanditaires ou intermédiaires, cerveaux et exécutants, criminels de guerre en fuite…). Mais lui-même a accompli sa part de carnage lorsque la guerre en Croatie et en Bosnie l'a jeté dans le cycle enivrant de la violence.Trajet, réminiscences, aiguillages, aller-retour dans les arcanes de la colère des dieux. Zeus, Athéna aux yeux pers et Arès le furieux guident les souvenirs du passager de la nuit. Le train démarre et, avec lui, commence une immense phrase itérative, circulatoire et archéologique, qui explore l'espace-temps pour exhumer les tesselles de toutes les guerres méditerranéennes. Car peu à peu prend forme une fresque homérique où se mêlent bourreaux et victimes, héros et anonymes, peuples déportés ou génocidés, mercenaires et témoins, peintres et littérateurs, évangélistes et martyrs… Et aussi les Parques de sa vie intérieure : Intissar l'imaginaire, la paisible Marianne, la trop perspicace Stéphanie, la silencieuse Sashka…S'il fallait d'une image représenter la violence de tout un siècle, sans doute faudrait-il choisir un convoi, un transport d'armes, de troupes, d'hommes acheminés vers une œuvre de mort. Cinquante ans après La Modification de Michel Butor, le nouveau roman de Mathias Enard compose un palimpseste ferroviaire en vingt-quatre "chants" conduits d'un seul souffle et magistralement orchestrés, comme une Iliade de notre temps.Né en 1972, Mathias Enard a étudié le persan et l'arabe et fait de longs séjours au Moyen-Orient. Il vit à Barcelone. Il a publié deux romans chez Actes Sud : La Perfection du tir (2003) — Prix des cinq continents de la francophonie, 2004 — qui paraît en Babel, et Remonter l'Orénoque (2005). Ainsi que, chez Verticales, Bréviaire des artificiers (2007).

Матиас Энар

Современная русская и зарубежная проза
Rue des Voleurs
Rue des Voleurs

LE POINT DE VUE DES ÉDITEURSC'est un jeune Marocain de Tanger, un garçon sans histoire, un musulman passable, juste trop avide de liberté et d'épanouissement, dans une société peu libertaire. Au lycée, il a appris quelques bribes d'espagnol, assez de français pour se gaver de Série Noire. Il attend l'âge adulte en lorgnant les seins de sa cousine Meryem. C'est avec elle qu'il va "fauter", une fois et une seule. On les surprend : les coups pleuvent, le voici à la rue, sans foi ni loi.Commence alors une dérive qui l'amènera à servir les textes — et les morts — de manières inattendues, à confronter ses cauchemars au réel, à tutoyer l'amour et les projets d'exil.Dans Rue des Voleurs, roman à vif et sur le vif, l'auteur de Zone retrouve son territoire hypersensible à l'heure du Printemps arabe et des révoltes indignées. Tandis que la Méditerranée s'embrase, l'Europe vacille. Il faut toute la jeunesse, toute la naïveté, toute l'énergie du jeune Tangérois pour traverser sans rebrousser chemin le champ de bataille. Parcours d'un combattant sans cause, Rue des Voleurs est porté par le rêve d'improbables apaisements, dans un avenir d'avance confisqué, qu'éclairent pourtant la compagnie des livres, l'amour de l'écrit et l'affirmation d'un humanisme arabe.Mathias Énard est l'auteur de quatre romans chez Actes Sud : La Perfection du tir (2003, prix des Cinq Continents de la francophonie), Remonter l'Orénoque (2005 ; adapté au cinéma en 2012 par Marion Laine sous le titre À cœur ouvert avec Juliette Binoche et Edgar Ramirez), Zone (2008, prix Décembre 2008 ; prix du Livre Inter 2009) et Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants (2010, prix Goncourt des lycéens 2010).

Матиас Энар

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