Mais alors, pourquoi donc ses amis, son entourage lui avaient-ils menti s'ils avaient remarqué quelque chose de suspect ? L'illusion avait- elle été si complète que toute une ville se fût laissé prendre ?
Et, brutalement, une pensée terrible traversa son esprit. Si Garin vivait encore, si c'était bien lui qu'elle avait aperçu tout à l'heure sous cette robe de moine, alors son mariage avec Arnaud était nul, elle était bigame et Michel, son petit Michel, n'était qu'un bâtard !
De toutes ses forces, elle repoussa l'affreuse idée, soulevée hors d'elle-même par une révolte de tout son être. Elle ne voulait pas, ce n'était pas possible ! Dieu, le destin ne pouvaient pas lui faire ça ! De Garin elle n'avait eu que souffrances, désespoir. Il lui avait donné une vie somptueuse, mais avilissante, une vie qu'elle ne voulait retrouver pour rien au monde!
— Je deviens folle ! fit-elle tout haut.
Alors, le voile menaçant de la démence creva. Et, aussitôt, la réaction vint, brutale. Catherine se releva. Elle voulait fuir, quitter tout de suite ce château où erraient de telles ombres, retrouver la route brûlée de soleil qui menait vers Arnaud. Vivant ou mort, être humain ou fantôme désincarné, elle ne laisserait pas Garin bouleverser sa vie. Il était mort, il fallait qu'il le demeurât. Et, pour ne pas courir le risque d'être reconnue, il fallait fuir ! Elle se retourna contre la porte, voulut l'ouvrir.
— Dama ! fit, derrière elle, une voix douce.
Elle fit volte-face. Au fond de l'appartement, près d'une fenêtre à colonnettes, deux jeunes servantes, agenouillées auprès d'un grand coffre de cuir peint et doré, ouvert et débordant, tiraient d'étincelantes soieries qu'elles jetaient ensuite sur le dallage rouge. Du fond de la panique qui l'avait emportée, Catherine ne les avait même pas vues.
Elle se frotta les yeux, rendue à la réalité. Non... il n'était pas possible de fuir. Il y avait Gauthier, son ami Gauthier, qu'elle ne pouvait pas abandonner ! Un sanglot se noua dans sa gorge, éclata en un faible gémissement. Fallait-il qu'elle fût toujours prisonnière de son cœur, des liens qu'il avait tissés autour d'elle avec les uns ou les autres ?
Gênée d'avoir été surprise en pleine faiblesse, en plein désarroi, elle répondit, machinalement, au sourire timide des petites servantes qui lui offraient, à l'envi, brocarts dorés ou argentés, satins luisants ou velours moelleux, les robes d'une sœur défunte de l'archevêque. Les deux jeunes filles s'approchèrent et, la prenant chacune par une main, l'entraînèrent vers un tabouret bas sur lequel elles la firent asseoir, puis, sans autre préambule, elles se mirent à la déshabiller. Catherine se laissa faire sans protester, l'esprit ailleurs, retrouvant sans efforts les habitudes d'autrefois, quand elle se livrait pendant de longues minutes aux soins dévotieux des servantes que dirigeait Sara.
En évoquant sa vieille amie, Catherine mesura d'un seul coup sa solitude. Que n'aurait-elle pas donné pour que, ce soir, Sara fût auprès d'elle ! Comment donc aurait réagi la zingara après l'affolante rencontre ? se demanda la jeune femme. Et la réponse vint aussitôt, immédiate et claire. Sara, sans autres atermoiements, se fût lancée sur la trace du fantôme, elle l'eût poursuivi, forcé dans son silence. Elle lui eût arraché la vérité.
— Moi aussi, fit Catherine d'une voix songeuse. Il faut que je sache
!
C'était l'évidence même ! Il n'y aurait plus ni trêve ni repos si elle ne plongeait pas jusqu'au cœur du mystère. Tout à l'heure, le moine, absorbé par sa lecture, ne l'avait même pas vue. Il fallait qu'il la voie, nettement, en pleine lumière. Sa réaction la renseignerait. Ensuite...
Catherine s'interdit de penser à ce qui viendrait ensuite. Mais elle savait d'avance qu'elle était de nouveau prête au combat. Rien ni personne, pas même un spectre revenu du royaume des morts, ne la détournerait d'Arnaud. Il fallait que Garin fût mort, bien mort, pour que son amour pût vivre ! D'ailleurs, s'il avait échappé à la mort, il ne souhaitait sans doute pas revenir vers sa vie d'autrefois, sinon pourquoi ce costume, pourquoi cette vie terrée au fond d'une forteresse de la vieille Castille ? L'homme était moine, donné à Dieu, lié à Dieu aussi étroitement qu'elle était liée à son époux. Et Dieu ne lâchait jamais ses proies. Mais elle voulait tout de même savoir !...