Mais si je pense toujours `a vous avec la m^eme sollicitude, l’id'ee de vous savoir hors de ma port'ee, me met du calme dans l’esprit, et je suis tent'e de vous appliquer le mot qu’une amie de madame de Sta"el a dit, en apprenant qu’elle venait d’accoucher d’une fille: «La pauvre petite, la voil`a au moins tranquille maintenant
».Ici longue interruption. D'ejeuner avec ses cons'equences. Puis une visite de l’excellentissime Colombine dans la chambre d’Anna qui me quitte `a l’instant pour aller `a mon exemple vaguer aux soins de sa correspondance. Il est impossible d’^etre meilleur que cet excellente couple Colobiano, lui, le mari, tout `a fait bon et distingu'e. Elle, la femme, toute `a fait bonne et bonne*
. A mon retour de P'eterhof j’ai trouv'e Anna si bien install'ee chez eux, qu’elle ne songeait pas plus `a entrer en ville, pas plus qu’eux ne voulaient entendre parler de la laisser partir.Voil`a de quoi rassurer la Capello*
sur les suites de ma tyranie paternelle. Non contents d’h'eberger Anna, ils se mirent en t^ete de m’y associer aussi et ils mirent tant d’insistance pour m’y faire consentir, qu’apr`es leur avoir oppos'e une r'esistance convenable, je me d'ecidais, dimanche dernier, `a venir coucher sous leur toit, au sortir d’un grand bal qui s’est donn'e ce jour-l`a chez la Comt J Stroganoff* et o`u nous avions 'et'e tous convives. Depuis je ne les ai plus quitt'es, d^inant tous les jours et d^inant tr`es bien avec eux et passant mes soir'ees soit chez les Wiasemsky, soit ailleurs. Gr^ace au beau temps qu’il a fait ces jours-ci, les ^iles ont 'et'e un fort agr'eable s'ejour. Mais pour en jouir, comme il convient, il faut y ^etre 'etabli `a demeure. Autrement ce n’est qu’une promenade qui devient bient^ot fatiguante et monotone.J’ai utilis'e le voisinage pour renouer avec la Comt Julie et qui m’a charg'e de mille choses aimables pour toi. Son bal, dimanche dernier, m’a fait passer en revue tout ce qu’il restait encore de monde aux ^iles. Hier grande soir'ee chez les Wiasemsky en l’honneur de Mad. Lazareff
, n'ee Biron, et de sa belle-soeur qui est n'ee Mestchersky, la fille de Basile*. Outre ces deux dames auxquelles je me suis fait pr'esenter, mais sans leur parler, il y avait encore Mad. Toumansky, la docte S'eniavine, avec sa fille accomplie*, mais trop rouge, trop robuste, etc. etc. Quant `a la ma^itresse de la maison, elle 'etait dans sa saute d’humeur bon enfant. La Valoueff*, tr`es d'ecid'ee encore l’autre jour `a l’endroit de Hapsal, n’en parlait plus hier soir qu’avec doute et h'esitation. Mais je me noie dans les d'etails niais et oiseux, et je les raconte tr`es mal pour m’y plaire. Les noms propres et les faits ne me r'eussissent gu`eres, et je me sens trop fatigu'e, coeur et ^ame, pour parler d’autre chose. Le temps en est pass'e…Aujourd’hui je d^ine `a 5 h chez le Ministre Ouvaroff
qui n’a pas voulu me laisser partir sans avoir rempli une certaine promesse qu’il se souvenait de m’avoir faite depuis longtemps.