Non, mille fois non. Je ne peux pas, je ne veux pas me r'esigner `a la paralysie de tes pieds et de tes mains. Je ne veux pas accepter, comme d'efinitif, cet 'etat d’impotence dont tu me parles dans ta lettre du 27 juillet, et qui devait dispara^itre tout naturellement par le progr`es de la convalescence. — Je vois clairement `a travers les demi-aveux que ce progr`es est nul et que ton 'etat, `a tout prendre, a plut^ot empir'e qu’il ne s’est am'elior'e dans ces derniers temps. Je ne puis dire l’horrible inqui'etude que tout cela me donne. Mais c’est une inqui'etude morose, d'esesp'er'ee, et qui p`ese sur moi comme un cauchemar. — Ce qui m’ach`eve, c’est l’absurde incertitude o`u je vis ici relativement aux couches d’Anna. Tous les termes sont d'epass'es, et il n’y a plus un calcul raisonnable `a faire, pour s’orienter. En attendant, Kitty et ma soeur s’en iront d’ici le 10 de ce mois, c’est-`a-d
Tu sais que je me suis donn'e la distraction d’aller `a Tro"itza assister au jubil'e du M'etropolitain de Moscou*
. C’'etait assur'ement une belle f^ete, d’un caract`ere tout particulier — tr`es sollennelle et pas le moins du monde th'e^atrale, et vingt fois, en y assistant, j’ai pens'e `a Marie qui aurait vivement et excellemment appr'eci'e ce que je voyais se passer sous mes yeux… Vous trouverez tous les d'etails de cette journ'ee dans les journaux, avec le texte des adresses, discours, etc. Mais ce qui est difficile `a saisir, `a moins de l’avoir vu, c’est la physionomie qu’imprimait `a tout cela l’individualit'e de l’homme qui 'etait le h'eros de cette f^ete.J’'etais dans la salle de r'eception `a deux pas du fauteuil, devant lequel il se tenait la plupart du temps debout, en recevant les adresses et f'elicitations qu’on lui offrait, — petit, fr^ele, r'eduit `a la plus simple expression de son ^etre physique, mais l’oeil plein de vie et d’intelligence, et dominant par une force sup'erieure incontestable tout ce qui se passait autour de lui. — Quand il r'epondait, c’'etait la voix d’une ombre. Ses l`evres remuaient, mais la parole qui en sortait n’'etait plus qu’un souffle…
Devant toute cette apoth'eose il 'etait parfait de simplicit'e et de naturel, et il avait l’air de n’accepter tous ces hommages que pour les transmettre `a quelqu’un d’autre, `a quelqu’un dont il n’'etait l`a que le mandataire accidentel. C’'etait tr`es beau… C’'etait vraiment la f^ete de l’Esprit.