Читаем Alexis ou le Traité du Vain Combat - Le Coup de Grâce полностью

Je continuais à lutter. Si la vertu consiste en une série d’efforts, je fus irréprochable. J’appris le danger des renoncements trop rapides ; je cessai de croire que la perfection se trouve de l’autre côté d’un serment. La sagesse, comme la vie, me parut faite de progrès continus, de recommencements, de patience. Une guérison plus lente me sembla moins précaire : je me contentai, à la façon des pauvres, de petits gains misérables. J’essayai d’espacer les crises ; j’en vins à un calcul maniaque des mois, des semaines, des jours. Sans l’avouer, pendant ces périodes d’excessive discipline, je vivais soutenu par l’attente du moment où je me permettrais de faillir. Je finissais par céder à la première tentation venue, uniquement parce que, depuis trop longtemps, je m’interdisais de le faire. Je me fixais à peu près, d’avance, l’époque de ma prochaine faiblesse ; je m’abandonnais, toujours un peu trop vite, moins par impatience de ce bonheur pitoyable que pour m’éviter l’horreur d’attendre l’accès, et de le supporter. Je vous épargne le récit des précautions que je pris contre moi-même ; elles me semblent maintenant plus avilissantes que des fautes. Je crus d’abord qu’il s’agissait d’éviter les occasions du péché ; je m’aperçus bientôt que nos actions n’ont qu’une valeur de symptômes c’est notre nature qu’il nous faudrait changer. J’avais eu peur des événements ; j’eus peur de mon corps ; je finis par reconnaître que nos instincts se communiquent à notre âme, et nous pénètrent tout entiers. Alors, je n’eus plus d’asile. Je trouvais, dans les pensées les plus innocentes, le point de départ d’une tentation ; je n’en découvrais pas une seule qui demeurât longtemps saine ; elles semblaient se gâter en moi et mon âme, quand je la connus mieux, me dégoûta comme mon corps.

Certaines époques étaient particulièrement dangereuses : la fin des semaines, le commencement des mois, peut-être parce que j’avais un peu plus d’argent et que j’avais pris l’habitude des complicités payées. (Il y a, mon amie, de ces raisons misérables.) Je craignais aussi la veille des fêtes, leur désœuvrement, leur tristesse pour ceux qui vivent seuls. Je m’enfermais ces jours-là. Je n’avais rien à faire : j’allais et venais, fatigué de voir mon image se refléter dans la glace ; je haïssais ce miroir, qui m’infligeait ma propre présence. Un crépuscule brouillé commençait d’emplir la chambre ; l’ombre se posait sur les choses comme une salissure de plus. Je ne fermais pas la fenêtre, parce que l’air me manquait ; les bruits du dehors me fatiguaient au point de m’empêcher de penser. J’étais assis, je m’efforçais de fixer mon esprit sur une idée quelconque, mais une idée mène toujours à une autre ; on ne sait pas où cela peut conduire. Il valait mieux se mouvoir, marcher. Il n’y a rien de blâmable à sortir au crépuscule ; pourtant, c’était une défaite, et qui présageait l’autre. J’aimais cette heure où bat la fièvre des villes. Je ne décrirai pas la recherche hallucinée du plaisir, les déconvenues possibles, l’amertume d’une humiliation morale bien pire qu’après la faute, lorsque aucun apaisement ne vient la compenser. Je passe sur le somnambulisme du désir, la brusque résolution qui balaie toutes les autres, l’alacrité d’une chair qui, enfin, n’obéit plus qu’à elle-même. Nous décrivons souvent le bonheur d’une âme qui se débarrasserait de son corps : il y a des moments, dans la vie, où le corps se débarrasse de l’âme.

Cher Dieu, quand mourrai-je ?... Monique, vous vous rappelez ces paroles. Elles sont au commencement d’une vieille prière allemande. Je suis fatigué de cet être médiocre, sans avenir, sans confiance en l’avenir, de cet être que je suis bien forcé d’appeler Moi, puisque je ne puis m’en séparer. Il m’obsède de ses tristesses, de ses peines ; je le vois souffrir, – et je ne suis même pas capable de le consoler. Je suis certes meilleur que lui ; je puis parler de lui comme je ferais d’un étranger ; je ne comprends pas quelles raisons m’en font le prisonnier. Et le plus terrible peut-être, c’est que les autres ne connaîtront de moi que ce personnage en lutte avec la vie. Ce n’est même pas la peine de souhaiter qu’il meure, puisque, lorsqu’il mourra, je mourrai avec lui. À Vienne, durant ces années de combats intérieurs, j’ai souvent souhaité mourir.

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