Читаем Alexis ou le Traité du Vain Combat - Le Coup de Grâce полностью

Je vous ai dit que je m’étais logé dans une maison assez misérable. Mon Dieu, je ne prétendais à rien d’autre. Mais ce qui rend la pauvreté si dure, ce ne sont pas les privations, c’est la promiscuité. Notre situation, à Presbourg, m’avait évité les contacts sordides que l’on subit dans les villes. Malgré les recommandations dont m’avait muni ma famille, il me fut longtemps difficile, à mon âge, de trouver à donner des leçons. Je n’aimais pas à me mettre en avant ; je ne savais donc pas m’y prendre. Il me sembla pénible de servir d’accompagnateur dans un théâtre, où ceux qui m’entouraient crurent me mettre à l’aise, à force de familiarité. Ce ne fut pas là que je pris meilleure opinion des femmes qu’on est censé pouvoir aimer. J’étais malheureusement très sensible aux aspects extérieurs des choses ; je souffrais de la maison où j’habitais ; je souffrais des gens que j’y devais parfois rencontrer. Vous pensez bien qu’ils étaient vulgaires. Mais j’ai toujours été aidé, dans mes rapports avec les gens, par l’idée qu’ils ne sont pas très heureux. Les choses non plus ne sont pas très heureuses ; c’est ce qui fait que nous nous prenons d’amitié pour elles. Ma chambre m’avait d’abord répugné ; elle était triste, avec une sorte de fausse élégance qui serrait le cœur, parce qu’on sentait qu’on n’avait pu faire mieux. Elle n’était pas non plus très propre : on voyait que d’autres personnes y avaient passé avant moi, et cela me dégoûtait un peu. Puis je finis par m’intéresser à ce qu’avaient pu être ceux-là, et à m’imaginer leur vie. C’étaient comme des amis, avec lesquels je ne pouvais me brouiller, parce que je ne les connaissais pas. Je me disais qu’ils s’étaient assis à cette table pour faire péniblement leurs comptes de la journée, qu’ils avaient allongé dans ce lit leur sommeil ou leur insomnie. Je pensais qu’ils avaient eu leurs aspirations, leurs vertus, leurs vices, et leurs misères, comme j’avais les miennes. Je ne sais pas, mon amie, à quoi nous serviraient nos tares, si elles ne nous enseignaient la pitié.

Je m’habituai. On s’habitue facilement. Il y a une jouissance à savoir qu’on est pauvre, qu’on est seul et que personne ne songe à nous. Cela simplifie la vie. Mais c’est aussi une grande tentation. Je revenais tard, chaque nuit, par les faubourgs presque déserts à cette heure, si fatigué que je ne sentais plus la fatigue. Les gens que l’on rencontre dans les rues, pendant le jour, donnent l’impression d’aller vers un but précis, que l’on suppose raisonnable, mais, la nuit, ils paraissent marcher dans leurs rêves. Les passants me semblaient, comme moi, avoir l’aspect vague des figures qu’on voit dans les songes, et je n’étais pas sûr que toute la vie ne fût pas un cauchemar inepte, épuisant, interminable. Je n’ai pas à vous dire la fadeur de ces nuits viennoises. J’apercevais quelquefois des couples d’amants étalés sur le seuil des portes, prolongeant tout à l’aise leurs entretiens, ou leurs baisers peut-être ; l’obscurité, autour d’eux, rendait plus excusable l’illusion réciproque de l’amour ; et j’enviais ce contentement placide, que je ne désirais pas. Mon amie, nous sommes bien étranges. J’éprouvais pour la première fois un plaisir de perversité à différer des autres ; il est difficile de ne pas se croire supérieur, lorsqu’on souffre davantage, et la vue des gens heureux donne la nausée du bonheur.

J’avais peur de me retrouver dans ma chambre, de m’étendre sur le lit, où j’étais sûr de ne pouvoir dormir. Pourtant, il fallait en venir là. Même lorsque je ne rentrais qu’à l’aube, ayant contrevenu à mes promesses envers moi-même (je vous assure, Monique, cela m’arrivait rarement), il fallait bien finir par remonter chez moi, ôter de nouveau mes vêtements comme j’aurais souhaité, peut-être, pouvoir me débarrasser de mon corps, et m’allonger entre les draps, où cette fois le sommeil venait. Le plaisir est trop éphémère, la musique ne nous soulève un moment que pour nous laisser plus tristes, mais le sommeil est une compensation. Même lorsqu’il nous a quittés, il nous faut quelques secondes pour recommencer à souffrir ; et l’on a, chaque fois qu’on s’endort, la sensation de se livrer à un ami. Je sais bien que c’est un ami infidèle, comme tous les autres ; lorsque nous sommes trop malheureux il nous abandonne aussi. Mais nous savons qu’il reviendra tôt ou tard, peut-être sous un autre nom, et que nous finirons par reposer en lui. Il est parfait quand il est sans rêves ; on pourrait dire que, chaque soir, il nous réveille de la vie.

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