Читаем Alexis ou le Traité du Vain Combat - Le Coup de Grâce полностью

J’étais absolument seul. Je me suis tu, jusqu’à présent, sur les visages humains où s’est incarné mon désir ; je n’ai interposé, entre vous et moi, que des fantômes anonymes. Ne croyez pas qu’une pudeur m’y contraigne, ou la jalousie qu’on éprouve même à l’égard de ses souvenirs. Je ne me vante pas d’avoir aimé. J’ai trop senti combien peu durables sont les émotions les plus vives, pour vouloir, du rapprochement d’êtres périssables, engagés de toutes parts dans la mort, tirer un sentiment qui se prétende immortel. Ce qui nous émeut chez un autre ne lui est après tout que prêté par la vie. Je sens trop bien que l’âme vieillit comme la chair, n’est, chez les meilleurs, que l’épanouissement d’une saison, un miracle éphémère, comme la jeunesse elle-même. À quoi bon, mon amie, nous appuyer à ce qui passe ?

J’ai craint les liens d’habitude, faits d’attendrissements factices, de duperie sensuelle et d’accoutumance paresseuse. Je n’aurais pu, ce me semble, aimer qu’un être parfait ; je serais trop médiocre pour mériter qu’il m’accueille, même s’il m’était possible de le trouver un jour. Ce n’est pas tout, mon amie. Notre âme, notre esprit, notre corps, ont des exigences le plus souvent contradictoires ; je crois malaisé de joindre des satisfactions si diverses sans avilir les unes et sans décourager les autres. Ainsi, j’ai dissocié l’amour. Je ne veux pas flatter mes actes d’explications métaphysiques, quand ma timidité est une cause suffisante. Je me suis presque toujours borné à des complicités banales, par une obscure terreur de m’attacher et de souffrir. C’est assez d’être le prisonnier d’un instinct, sans l’être aussi d’une passion ; et je crois sincèrement n’avoir jamais aimé.

Puis des souvenirs me reviennent. Ne vous effrayez pas : je ne décrirai rien ; je ne vous dirai pas les noms ; j’ai même oublié les noms, ou ne les ai jamais sus. Je revois la courbe particulière d’une nuque, d’une bouche ou d’une paupière, certains visages aimés pour leur tristesse, le pli de lassitude qui abaissait leurs lèvres, ou même ce je ne sais quoi d’ingénu qu’a la perversité d’un être jeune, ignorant et rieur ; tout ce qui affleure d’âme à la surface d’un corps. Je pense à des inconnus qu’on ne reverra pas, qu’on ne tient pas à revoir et qui, à cause de cela même, se racontent ou se taisent avec sincérité. Je ne les aimais pas : je ne désirais pas refermer les mains sur le peu de bonheur qui m’était apporté ; je ne souhaitais d’eux ni compréhension, ni même la durée d’une tendresse : simplement, j’écoutais leur vie. La vie est le mystère de chaque être : elle est si admirable qu’on peut toujours l’aimer. La passion a besoin de cris, l’amour lui-même se complaît dans les mots, mais la sympathie peut être silencieuse. Je l’ai ressentie, non seulement à des minutes prévues de gratitude et d’apaisement, mais envers des êtres que je n’associais à l’idée d’aucune joie. Je l’ai connue en silence, puisque ceux qui l’inspirent ne la comprendraient pas ; il n’est pas nécessaire que quelqu’un la comprenne. J’ai aimé de la sorte les figures de mes rêves, de pauvres gens médiocres, et quelquefois des femmes. Mais les femmes, bien qu’elles disent le contraire, ne voient dans la tendresse qu’un acheminement vers l’amour.

J’avais, pour voisine de chambre, une personne assez jeune qui se nommait Marie. Ne vous imaginez pas que Marie fût très belle ; c’était une physionomie ordinaire, qui passait inaperçue. Marie était un peu mieux qu’une servante. Elle travaillait pourtant, et je ne crois pas que son travail aurait suffi à la faire vivre. En tout cas, lorsque j’allais chez elle, je la trouvais toujours seule. Elle s’arrangeait, je suppose, pour l’être à ces heures-là.

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