Читаем L’écume des jours полностью

Le couvercle bascula avec un claquement huilé, et Colin cessa de sourire. Le niveau, bloqué pour on ne sait quelle raison, venait de se fixer, après deux ou trois oscillations, à trente-cinq mille doublezons. Il plongea la main dans le coffre, et vérifia rapidement l’exactitude du dernier chiffre. Faisant un rapide calcul mental, il en constata la vraisemblance. Sur cent mille, il en avait donné vingt-cinq mille à Chick pour épouser Alise, quinze mille pour la voiture, cinq mille pour la cérémonie… le reste avait filé tout naturellement. Ceci le rassura un peu.

– C’est normal, dit-il à voix haute, et sa voix lui parut étrangement altérée.

Il prit ce qu’il lui fallait, hésita, en remit la moitié avec un geste de lassitude et referma la porte. Les boutons tournèrent rapidement en faisant un petit cliquettement clair. Il tapota le cadran du niveau et vérifia qu’il indiquait bien la somme contenue.

Puis, il se releva. Il resta debout pendant quelques instants, s’étonnant de l’énormité des sommes qu’il avait dû engager pour donner à Chloé ce qu’il jugeait digne d’elle et sourit en pensant à Chloé décoiffée, le matin, dans le lit, et à la forme du drap sur son corps étendu et à la couleur d’ambre de sa peau lorsqu’il enlevait le drap, et il s’astreignit brusquement à penser au coffre parce que ce n’était pas le moment de penser à ces choses-là.

Chloé s’habillait.

– Dis à Nicolas de faire des sandwiches, dit-elle, qu’on parte tout de suite… Je leur ai donné rendez-vous chez Isis.

Colin l’embrassa sur l’épaule, profitant d’une éclaircie, et courut prévenir Nicolas. Nicolas achevait de soigner la souris et lui fabriquait une petite paire de béquilles en bambou.

– Voilà, conclut-il. Marche avec ça jusqu’à ce soir et il n’y paraîtra plus.

– Qu’est-ce qu’elle a? demanda Colin en lui caressant la tête.

– Elle a voulu nettoyer les carreaux du couloir, dit Nicolas. Elle y est arrivée, mais ça lui a fait mal.

– Ne te soucie p as de ça, dit Colin. Ça reviendra tout seul.

– Je ne sais pas, dit Nicolas. C’est bizarre. On dirait que les carreaux respirent mal.

– Ça reviendra, dit Colin… Je pense, du moins… ça n’a jamais fait ça jusqu’à maintenant?

– Non, dit Nicolas.

Colin resta quelques instants devant la fenêtre de la cuisine.

– C’est peut-être l’usure normale, dit-il. On pourrait essayer de les faire changer…

– Ça coûtera très cher, dit Nicolas.

– Oui, dit Colin. Il vaut mieux attendre.

– Qu’est-ce que tu voulais? demanda Nicolas.

– Ne fais pas de cuisine, dit Colin. Seulement des sandwiches… on va partir tout de suite.

– Bon, je m’habille, dit Nicolas.

Il posa la souris par terre et elle se dirigea vers la porte, oscillant entre ses petites béquilles. Ses moustaches dépassaient des deux côtés.

XXX

La rue avait tout à fait changé d’aspect depuis le départ de Colin et de Chloé. Maintenant, les feuilles des arbres étaient grandes et les maisons quittaient leur teinte pâle pour se nuancer d’un vert effacé avant d’acquérir le beige doux de l’été. Le pavé devenait élastique et doux sous les pas et l’air sentait la framboise.

Il faisait encore frais, mais on devinait le beau temps derrière les fenêtres aux vitres bleuâtres. Des fleurs vertes et bleues poussaient le long des trottoirs, et la sève serpentait autour de leurs tiges minces avec un léger bruit humide, comme un baiser d’escargots.

Nicolas ouvrait la marche. Il était vêtu d’un complet sport de chaud lainage moutarde, et portait, en dessous, un chandail à col roulé dont le jacquard dessinait un saumon à la Chambord, tel qu’il apparaît à la page 607 du Livre de Cuisine de Gouffé. Ses souliers de cuir jaune à semelles crêpe froissaient à peine la végétation. Il prenait soin de marcher dans les deux sillons que l’on dégageait pour laisser passer les voitures.

Colin et Chloé le suivaient, Chloé tenait Colin par la main et respirait à longs traits les odeurs de l’air. Chloé avait une petite robe de laine blanche et un mantelet de léopard benzolé, dont les taches, atténuées par le traitement, s’élargissaient en auréoles, et se recoupaient en curieuses interférences. Ses cheveux mousseux flottaient librement et exhalaient une douce vapeur parfumée de jasmin et d’œillet.

Colin, les yeux mi-clos, se guidait sur ce parfum, et ses lèvres frémissaient doucement à chaque inhalation. Les façades des maisons s’abandonnaient un peu, quittant leur sévère rectitude, et l’aspect résultant de la rue déroutait parfois Nicolas qui devait s’arrêter pour lire les plaques émaillées.

– Qu’est-ce que nous allons faire d’abord? demanda Colin.

– Aller dans les magasins, dit Chloé. Je n’ai plus une seule robe.

– Tu ne veux pas aller chez les Sœurs Callotte, comme d’habitude? dit Colin.

– Non, dit Chloé, je veux aller dans les magasins, et m’acheter des robes toutes faites et des choses.

– Isis va sûrement être contente de te revoir, Nicolas, dit Colin.

– Pourquoi ça? demanda Nicolas.

– Je ne sais pas…

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