Et comment donc ? - reconnut Gamaliel avec sollicitude - les difficultés qui se présentent à toi ne sont pas des moindres. Néanmoins, je ne considère pas les questions d'argent comme un obstacle car nous pourrions en obtenir suffisamment pour les dépenses les plus urgentes. Je me rapporte simplement aux dangers de la situation que tu as vécus. Je pense qu'il est juste que tu retournes à Jérusalem ou à Tarse, pleinement intégré de tes nouveaux devoirs. Toute plante est fragile quand elle commence à grandir. Les intrigues du pharisaïsme, la fausse science des docteurs, les vanités familières pourraient étouffer la semence glorieuse que Jésus a déposée dans ton cœur ardent. Le fruit le plus prometteur ne se développera pas si nous le couvrons de débris et de boue. Il est bon que tu retournes au berceau, à nos compagnons et à ta famille comme un arbre luxuriant, honorant le dévouement du Divin Cultivateur.
Mais que faire ? - a réagi Saûl soucieux. L'ancien maître a réfléchi un instant et lui expliqua :
Tu sais que les zones du désert sont de grands marchés pour les articles en cuir. Le transport des marchandises dépend entièrement des tisserands les plus habiles et les plus dévoués. Sachant cela, mon frère a monté plusieurs tentes de travail dans les oasis les plus éloignées pour répondre aux besoins de son commerce. Je parlerai de toi à Ézéquiel. Je ne lui dirai pas que tu es un grand chef de Jérusalem qui prétend s'exiler pendant quelque temps, non pas par crainte de souiller ton nom ou ton origine, mais parce qu'il me semble utile que tu éprouves l'humilité et la solitude sur ton nouveau chemin. Les considérations conventionnelles pourraient te gêner maintenant que tu as besoin d'exterminer l'« homme vieux » qui est en toi à coup de sacrifice et de discipline.
Je comprends et j'obéis dans mon propre intérêt - a murmuré Saûl attentif.
D'ailleurs, Jésus a donné l'exemple de tout cela en restant parmi nous sans que nous ne le percevions.
Le jeune tarsien se mis à méditer à l'élévation des suggestions faites. Il commencerait une nouvelle vie. Il reprendrait le métier à tisser avec humilité. Il se réjouissait à l'idée que son Maître n'avait pas dédaigné, à son tour, la condition du charpentier. Le désert lui fournirait la consolation, le travail, le silence. Il ne gagnerait plus l'argent facile de l'admiration indue, mais les ressources nécessaires à l'existence, tout en augmentant la valeur des obstacles vaincus. Gamaliel avait raison. Il ne serait pas licite de supplier l'aide des hommes quand Dieu lui avait fait la plus grande de toutes les faveurs en illuminant sa conscience pour toujours. Il était vrai qu'à Jérusalem, il avait été un cruel bourreau, mais il avait à peine trente ans. Il chercherait à se réconcilier avec tous ceux qu'il avait offensés par sa rigueur sectaire. Il était jeune, il travaillerait pour Jésus tant qu'il lui resterait des forces.
La parole chaleureuse de l'ancien l'arracha de ses profondes pensées.
Tu as l'Évangile ? - a demandé le vieillard avec intérêt.
Saûl lui montra les fragments qui étaient en sa possession et lui expliqua le travail qui avait eu, à Damas, à copier les manuscrits du généreux prédicateur qui l'avait guéri de sa soudaine cécité. Gamaliel les a examinés avec attention et après s'être concentré dessus pendant un long moment, il a ajouté :
J'ai une copie intégrale des annotations de Lévi, collecteur d'impôts à Capharnaum, qui s'est fait apôtre du Messie - un généreux souvenir me venant de Simon Pierre pour ma pauvre amitié ; aujourd'hui, je n'ai plus besoin de ces parchemins que je considère sacrés. Pour graver dans ma mémoire les leçons du Maître, j'ai cherché à copier pour toujours tous les enseignements et je les ai appris par cœur. Je possède déjà trois exemplaires complets de l'Évangile, sans la coopération d'aucun scribe. De sorte que je considère le cadeau de Pierre comme une relique sanctifiée de notre noble affection que je veux déposer entre tes mains. Tu prendras avec toi les pages écrites dans l'église du « Chemin », comme fidèles accompagnateurs de ta nouvelle tâche.
L'ex-rabbin écoutait ses affectueuses déclarations, pris d'une profonde émotion.
Mais, pourquoi vous défaire d'un souvenir aussi précieux, pour moi ? - a-t-il demandé ému. - L'une des copies faite de vos mains me suffirait !...
Le vieux maître a fixé son regard tranquille dans le paysage alentours et lui dit sur un ton prophétique :