Aquiles et Prisca, avant d'être mari et femme, semblaient d'abord être frère et sœur. Dès leur premier jour de travail ensemble, l'ex-docteur de la Loi a pu observer le respect mutuel, la parfaite conformité de leurs idées face à la notion élevée du devoir qui caractérisait leurs moindres attitudes et, surtout, la joie saine qui rayonnait de leurs moindres gestes. Leurs habitudes pures et généreuses enchantaient son âme désappointée par les hypocrisies humaines. Les repas étaient simples ; chaque objet avait sa fonction et sa place, et leurs paroles, quand elles sortaient du cercle de la joie commune, n'étaient jamais empreintes de médisance ou de frivolité.
Le premier jour fut plein d'agréables surprises pour l'ex-rabbin, assoiffé de paix et de solitude pour ses nouvelles études et ses méditations. Avec la plus grande gentillesse, son compagnon de travail faisait son possible pour l'aider à vaincre les petites difficultés à la tâche qu'il ne pratiquait pas depuis de très longues années. Bien naturellement, Aquiles trouva étrange les mains délicates, les manières différentes qui ne paraissaient en rien à celles d'un tisserand ordinaire ; mais avec la noblesse d'esprit qui le caractérisait, il ne demanda rien concernant les motifs de son isolement.
Ce soir-là, une fois la tâche achevée, le couple s'est installé au pied d'un grand palmier. Non sans lancer à leur nouveau compagnon des regards interrogateurs qui traduisaient leur évidente inquiétude et silencieux, ils ont déroulé de vieux parchemins qu'ils se mirent à lire avec beaucoup d'attention.
Saûl perçut leur attitude craintive et s'est approché.
Effectivement - dit-il amicalement - les soirées dans le désert incite à la méditation... le drap infini de sable ressemble à un océan immobile... la douce brise renvoie le message des villes lointaines. J'ai l'impression d'être dans un temple de paix imperturbable, loin du monde...
Aquiles était étonné par ces images évocatrices et ressentit une plus grande affection pour ce jeune anonyme, séparé peut-être des affections qui lui étaient les plus chères, à contempler la plaine sans fin avec une immense tristesse.
C'est vrai - a-t-il répondu gentiment -, j'ai toujours pensé que la nature conservait le désert comme un autel de silence divin pour que les enfants de Dieu aient sur terre un lieu de repos parfait. Profitons donc de notre séjour dans cette solitude pour évoquer le Père juste et saint en admirant sa magnanimité et sa grandeur.
À cet instant, Prisca s'est penchée sur la première partie du rouleau de parchemins, absorbée dans sa lecture.
Lisant accidentellement de loin le nom de Jésus, Saûl s'est approché encore davantage et sans réussir à cacher son grand intérêt, il a demandé :
Aquiles, j'ai un tel amour pour le prophète nazaréen que je me permets de te demander si ta lecture sur la grandeur du Père céleste est faite à travers les enseignements de l'Évangile.
Le jeune couple fut profondément surpris face à une question aussi inattendue.
Oui... - a répondu l'interpellé hésitant -, mais si tu viens de la ville, tu n'es pas sans ignorer les persécutions dont souffrent ceux qui se trouvent liés au « Chemin » du Christ Jésus...
Saûl n'a pu dissimuler sa joie en découvrant que ses compagnons, amants de la lecture, étaient en condition d'échanger des idées éclairées sur son nouvel apprentissage.
Animé par la confession de l'autre, il s'est assis à même le sol et prenant les parchemins avec intérêt, il a demandé :
Les annotations de Lévi ?
Oui - répondit Aquiles plus sûr de lui, maintenant qu'il était certain de se trouver en présence d'un frère d'idéal -, je les ai copiées à l'église de Jérusalem, avant de partir.
Immédiatement, Saûl alla chercher la copie de l'Évangile qui était à son cœur l'un des plus précieux souvenirs de sa vie. Ils ont ainsi conféré, satisfaits, les textes et les enseignements.
Pris d'un sincère intérêt fraternel, l'ex-rabbin leur a demandé avec sollicitude :
Quand avez-vous quitté Jérusalem ? Quel immense soulagement que de rencontrer des frères qui connaissent de près notre ville sainte. Quand j'ai quitté Damas, je ne pensais pas que Jésus me réservait des surprises aussi gratifiantes.
Il y a plusieurs mois que nous sommes partis - lui dit Aquiles en toute confiance maintenant vu la spontanéité des propos entendus. - Nous y avons été poussés par le courant de persécutions.
Cette référence brusque et indirecte à son passé dérangeait le jeune tarsien au plus profond de son cœur.
As-tu connu Saûl de Tarse ? - a demandé le tisserand avec une grande naïveté qui transparaissait dans ses yeux. - D'ailleurs - continua-t-il, tandis que l'interpellé cherchait ce qu'il allait répondre, - le célèbre ennemi de Jésus porte le même nom que toi.