L'ex-rabbin a considéré qu'il valait mieux suivre à la lettre les conseils de Gamaliel. Il était préférable de se cacher, d'éprouver la juste réprobation de son passé condamnable, de s'humilier devant le jugement des autres, aussi implacable soit-il, jusqu'à ce que les frères du «Chemin » confèrent pleinement la fidélité de son témoignage.
Je l'ai connu - a-t-il vaguement répliqué.
Très bien - continua Aquiles pour initier l'histoire de ses vicissitudes -, il est bien possible que lors de ton passage dans Damas et à Palmyre, tu n'aies pas eu une connaissance parfaite des martyres que le célèbre docteur de la Loi nous a imposés, très souvent, arbitrairement. Il est probable que Saûl lui-même ne soit pas au courant, comme je le crois, des atrocités commises par les hommes sans scrupules qu'il a sous ses ordres, parce que les persécutions sont de telle nature que, comme frère du « Chemin », je ne peux admettre qu'un rabbin instruit puisse assumer la responsabilité personnelle de tant de faits iniques.
Tandis que l'ex-docteur cherchait en vain une réponse appropriée, Prisca entra dans la conversation, s'exprimant avec simplicité :
Bien sûr que le rabbin de Tarse ne peut pas connaître tous les crimes commis en son nom. Simon Pierre lui-même, à la veille de notre départ en cachette pendant la nuit, a affirmé que personne ne devait le haïr, car malgré le rôle qu'il avait Joué dans la mort d'Etienne, il était impossible qu'il ait ordonné tant de mesures odieuses et perverses.
Saûl comprenait maintenant qu'il entendait des plus humbles, l'extension de la campagne criminelle qu'il avait déchaînée en donnant libre cours à tant d'abus de la part de ses subalternes et de ses favoris.
Mais - a-t-il demandé surpris - tu as souffert à ce point ? Tu as été condamné à quelque peine ?
Ils sont nombreux ceux qui ont souffert de vexations égales à celles que j'ai dû supporter a murmuré
Aquiles pour s'expliquer -, étant donné les méthodes condamnables de tant d'énergumènes fanatiques, choisis comme assistants dignes du mouvement.
Comment cela ? a interrogé Saûl avec plus d'intérêt.
Je vais te donner un exemple. Imagine-toi qu'un patricien du nom de Yochai, à plusieurs reprises a interpellé mon père concernant la possibilité d'acheter une boulangerie à Jérusalem. Je m'occupais de la boutique ; mon vieux géniteur de ses affaires. Nous vivions heureux, en paix. Malgré les attaques de l'ambitieux Yochai, mon père n'avait jamais pensé se séparer de la source de ses revenus. Yochai, quant à lui dès le début des persécutions bénéficia d'une position plus influente. En de telles circonstances, les caractères mesquins prennent toujours le dessus. Il suffit de lui donner un peu d'autorité et l'envieux a bientôt réalisé ses désirs criminels. Il est vrai que Prisca et moi avons été les premiers à fréquenter l'église du « Chemin », non seulement par affinité de sentiment, comme par devoir pour Simon Pierre qui m'avait soigné d'anciens maux qui me venaient de mon enfance. Mon père, néanmoins, malgré sa sympathie pour le Sauveur, a toujours allégué être trop âgé pour changer d'idées religieuses. Attaché à la Loi de Moïse, il ne pouvait concevoir une rénovation générale de principes en matière de foi. Cela, néanmoins, n'a pas retenu les instincts pervers de l'ambitieux. Un beau jour, Yochai a frappé à notre porte accompagné d'une escorte armée, avec un ordre d'emprisonnement pour nous trois. Il était inutile de résister. Le docteur de Tarse avait lancé un décret qui disait que toute résistance signifiait la mort. Alors nous avons été incarcérés. En vain mon père a juré fidélité à la Loi. Après l'interrogatoire, Prisca et moi, nous avons reçu l'ordre de retourner à la maison, mais notre vieux père a été incarcéré sans compassion. Ses modestes biens lui ont été immédiatement confisqués. Après de nombreux efforts, nous avons réussi à faire en sorte qu'il revienne à nous et ce valeureux vieillard dont le seul soutien était mon dévouement filial, dans sa vieillesse et son veuvage, a expiré dans nos bras le lendemain de sa libération que nous avions tant attendue. Quand il nous est revenu, on aurait dit un fantôme. Des gardes charitables l'ont apporté presque agonisant. J'ai pu voir ses os cassés, ses blessures ouvertes, sa chair déchirée par le fouet. Avec des mots balbutiés, il m'a décrit les scènes lamentables de la prison. Yochai, en personne, entouré de ses partisans, a été l'auteur de ses derniers supplices. Ne pouvant pas résister aux souffrances, il a livré son âme à Dieu !
Aquiles était profondément ému. Une larme furtive est venue s'associer à ses pénibles souvenirs.
Et l'autorité du mouvement ? - a demandé Saûl terriblement troublé - serait-elle étrangère à ce crime ?
Je crois que oui. La cruauté a été excessive pour que la punition soit uniquement attribuée à des motifs religieux.
Mais tu n'es pas allé devant la justice ?