L'ex-rabbin avait même changé d'aspect au contact direct des forces agressives de la nature. Sa peau brûlée par le soleil donnait l'impression d'un homme habitué à la rigueur du désert. Sa barbe avait poussé et transformé son visage. Ses mains habituées au traitement des livres étaient devenues calleuses et rudes. Néanmoins, la solitude, les disciplines austères, le métier à tisser laborieux, avaient enrichi son âme de lumière et de sérénité. Ses yeux calmes et profonds certifiaient les nouvelles valeurs de son esprit. Il avait finalement compris cette paix inconnue que Jésus souhaitait à ses disciples ; il savait maintenant interpréter le dévouement de Pierre, la tranquillité d'Etienne à l'instant de la mort ignominieuse, la ferveur d'Abigail, les vertus morales de ceux qui fréquentaient le «Chemin » qu'il avait persécuté à Jérusalem. Son auto-éducation, en l'absence des ressources de l'époque, avait enseigné à son âme inquiète le secret sublime de se livrer au Christ et de se reposer dans ses bras miséricordieux et invisibles. Depuis qu'il s'était consacré au Maître, en son âme et en son cœur, les remords, les douleurs, les difficultés s'étaient comme éloignés de son esprit. Il recevait tout effort à fournir comme un bien, tout besoin comme une source d'enseignement. Finalement, il s'était attaché à Aquiles et à sa femme comme s'ils étaient nés ensemble. Un beau jour, son compagnon est tombé malade et était proche de la mort, prostré par une violente fièvre. La situation pénible, la multiplication des tempêtes de sable avaient aussi beaucoup abattu Prisca qui était aussi alitée avec peu d'espoirs de vie. Saûl, néanmoins, s'est montré d'un courage et d'un dévouement inédits. Pris d'une sincère confiance en Dieu, il attendit le retour au calme et à la joie. Jubilant, il vit revenir Aquiles au métier à tisser et sa compagne aux travaux domestiques, pleins de nouvelles expressions de paix et de confiance.
Après plus d'un an dans cette solitude, une caravane est arrivée de Palmyre lui apportant un billet laconique. Le commerçant l'informait de la mort soudaine de son frère, qu'ils attendaient depuis longtemps d'ailleurs.
Le départ de Gamaliel pour le royaume des deux n'en fut pas moins pour lui une pénible surprise. Le vieux maître, après son père, avait été dans sa vie son plus grand ami. Il a médité sur ses derniers conseils, a réfléchi à sa profonde sagesse. À son souvenir, il trouva la paix désirée pour s'ajuster à la situation spirituelle nécessaire, de manière à réorganiser son existence. Ce jour-là, des pensées teintées d'une profonde nostalgie martyrisèrent son âme sensible.
Dans la soirée, après leur repas et à l'heure des méditations habituelles, l'ex-rabbin a contemplé le couple avec la plus grande tendresse qui transparaissait dans son regard franc.
Chacun était plongé dans la méditation de l'Évangile divin quand le jeune tarsien leur a parlé avec une certaine timidité contrastant avec ses gestes résolus :
Aquiles, de nombreuses fois, dans la solitude de notre travail, j'ai pensé à tout le mal que t'a causé le docteur de Tarse. Que ferais-tu si un jour tu te trouvais brusquement en face du bourreau ?
Je chercherais à voir en lui un frère.
Et toi, Prisca ? - a-t-il demandé à la femme qui le fixait curieuse.
Ce serait l'occasion parfaite de témoigner de l'amour que Jésus nous a donné en exemple dans ses divines leçons.
L'ex-docteur de la Loi a retrouvé sa sérénité et élevant la voix, il s'est exprimé convaincu :
J'ai toujours considéré qu'un homme appelé à diriger, doit répondre de toutes les erreurs commises par ses préposés en ce qui concerne les services en général. Donc, selon ma façon de penser, je n'accuserai pas tant Yochai qui s'est arboré comme un vulgaire criminel en abusant d'une prérogative qui lui a été conférée pour exécuter tant de viles vengeances.
À qui imputerais-tu, alors, l'assassinat de mon père ? - a demandé Aquiles impressionné tandis que son ami faisait une courte pause.
Je considère que Saûl de Tarse devrait répondre à de telles pratiques. Il est vrai qu'il n'a pas autorisé l'acte cruel, mais il s'est rendu coupable par son indifférence personnelle quant aux détails de la tâche qui était dans le cadre de ses activités.
Les conjoints se mirent à méditer au motif de telles questions, alors que le jeune homme se taisait, réservé.
Puis finalement, sur un ton humble et émouvant, il a repris la parole :