Le centurion qui présidait aux services de flagellation fit suspendre les premiers dispositifs. Zelfos fut appelé en hâte. Informé de ce qui s'était passé, stupéfait le tribun a interrogé l'apôtre :
Dis-moi. Tu es vraiment romain ? -Oui.
Face à l'assurance de sa réponse, Zelfos se dit qu'il était plus raisonnable de changer le traitement du prisonnier. Craignant des complications, il fit retirer l'ex-rabbin du tronc, lui permettant ainsi d'être libre de ses mouvements malgré l'étroitesse de sa cellule. Ce ne fut qu'à ce moment-là que Paul de Tarse réussit à trouver un peu de repos sur une dure paillasse après avoir reçu un pichet d'eau apporté avec plus de respect et de considération. Il assouvit son intense soif et dormit malgré ses blessures sanglantes et douloureuses.
Zelfos, néanmoins, n'était pas tranquille. Il méconnaissait complètement la condition de l'accusé. Craignant pour sa position, d'ailleurs très enviable du point de vue politique, il alla voir le tribun Claude Lysias pour lui faire part de son inquiétude. Ce à quoi, l'autre a répondu :
Cela me surprend beaucoup puisqu'à mot il a affirmé être juif, originaire de Tarse de
Cilicie.
Zelfos lui dit alors qu'il avait du mal à en discerner la cause et finit par conclure :
D'après cela, il semble avant tout être un vulgaire menteur.
Ça non - s'exclama Lysias -, il doit naturellement posséder des titres de citoyenneté de l'Empire et a agi pour des raisons que nous ne sommes pas en mesure d'apprécier.
Percevant que son ami s'était personnellement senti irrité par ses premières allégations, Zelfos s'est empressé de corriger :
Ton point de vue est juste.
Je dois reconnaître en toute conscience - a ajouté Lysias bien inspiré -, que cet homme, inconnu de nous deux, a parlé de problèmes très sérieux.
Zelfos réfléchit un instant, puis il ajouta avec modération :
Face à cela, je propose qu'il soit présenté demain au Sanhédrin. Il n'y a que comme ça que nous pourrons trouver une solution au problème.
Claude Lysias reçut cette suggestion avec désagrément. Au fond, il se sentait plus enclin à patronner la défense de l'apôtre. Sa parole enflammée de foi l'avait vivement impressionné. Rapidement, il réfléchit et analysa le pour et le contre d'une décision de cette nature. Soustraire l'accusé à une persécution plus exaltée serait une juste précaution, mais contester le Sanhédrin était une attitude qui demandait plus de prudence. Il connaissait bien les juifs et plus d'une fois il avait pu mesurer l'ardeur de leurs passions et leurs caprices. Comprenant, également, qu'il ne devait pas éveiller les soupçons de son collègue concernant ses croyances religieuses, il fit un geste affirmatif et déclara :
Je suis d'accord. Demain, nous le livrerons aux juges compétents en matière de foi. Tu pourras laisser cela à ma charge car le prisonnier sera accompagné d'une escorte qui le protégera de toutes violences.
Et il en fut ainsi. Le lendemain matin, le plus haut tribunal des Israélites fut notifié par le tribun Claude Lysias que le prédicateur de l'Évangile comparaîtrait devant les juges pour les enquêtes nécessaires aux premières heures de l'après-midi. Les autorités du Sanhédrin s'en réjouirent. Ils allaient, enfin, revoir face à face le déserteur de la Loi. La nouvelle se répandit avec une rare rapidité.
Dans la matinée qui présageait de sombres perspectives, dans la solitude de sa cellule, Paul eut le plaisir d'avoir une grande surprise. Avec l'autorisation du tribun, une vieille femme et son fils encore jeune, pénétrèrent dans sa cellule afin de lui rendre visite.
C'était sa sœur Dalila avec son neveu Stéphane qui avaient finalement obtenu l'autorisation d'une courte entrevue. L'apôtre a étreint la noble femme avec des larmes d'émotion. Elle était faible, vieillie, le jeune Stéphane avait pris les mains de son oncle et les avait baisées avec vénération et tendresse.
Dalila a parlé des longues nostalgies, elle s'est souvenu des épisodes familiaux avec toute la poésie de son cœur féminin, et l'ex-docteur de Jérusalem recevait toutes les nouvelles, bonnes et mauvaises, avec une imperturbable sérénité comme si elles procédaient d'un monde très différent du sien. Il chercha, néanmoins, à consoler sa sœur qui, à un souvenir plus pénible, éclata en sanglots. Paul lui raconta succinctement ses voyages, ses luttes, ses obstacles survenus sur les chemins parcourus par amour de Jésus. La vénérable femme, bien qu'ignorant les vérités du christianisme, très délicatement n'a pas voulu effleurer les sujets religieux, s'en tenant aux motifs affectifs de sa visite fraternelle et pleura copieusement en le quittant. Elle ne pouvait pas comprendre la résignation de l'apôtre, ni dûment apprécier son renoncement. Elle déplorait intimement son sort et, au fond, tout comme la majorité de ses compatriotes, elle dédaignait ce Jésus qui n'offrait aux disciples qu'une croix et des souffrances.