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C’était juste que je manquais d’habitude. Au cours des deux ans qui ont suivi, j’ai eu tout le temps de m’y faire. Mon travail à la Pensée était des plus tranquilles, ce qui laissait beaucoup de loisirs pour l’étude et la prière. Libraire, ça consistait à recevoir les cartons de livres, à les ouvrir, à retirer les plastiques, à les mettre en piles sur les étagères et, une fois par semaine, le vendredi, à installer une table à la sortie de la mosquée pour les vendre. Enfin, les vendre c’est un bien grand mot. La plupart (les petits ouvrages brochés, un peu comme des manuels scolaires bon marché) valaient 4,90 dirhams. Un enfer, il fallait avoir des caisses de pièces pour rendre la monnaie, presque autant que de bouquins. À ce prix-là on pourrait les offrir, j’ai dit au Cheikh. Non non, impossible, les gens doivent être conscients que ce papier a de la valeur, sinon ils vont les balancer ou s’en servir pour allumer les barbecues. On pourrait peut-être les vendre à cinq dirhams alors, ça m’arrangerait pour la monnaie. Trop cher, m’a répondu le Cheikh. Ça doit être accessible à tous.

Ces manuels avaient un énorme succès. Notre best-seller : La Sexualité en Islam

, j’en ai vendu des centaines, sans doute parce que tout le monde pensait qu’il y aurait du cul, des conseils de positions, ou des arguments religieux de poids pour que les femmes admettent certaines pratiques, mais pas du tout, l’acte y était appelé “le coït”, “le déduit” ou “la rencontre” et l’ensemble était une compilation commentée de phrases de grands juristes médiévaux pas du tout excitante — une arnaque, à mon avis, même pour cinq dirhams. Ceux qui achetaient ce manuel étaient à quatre-vingt-dix-neuf pour cent des hommes. Notre meilleure vente féminine était Les Héroïnes de l’Islam
, un pamphlet plutôt simple et efficace sur le monde contemporain, l’injustice des temps et comment seul un retour des femmes à la religion pouvait sauver le monde, en s’appuyant sur les exemples des grandes dames de l’Islam, surtout Khadidja, Fatima et Zaynab.

L’autre partie de notre catalogue était plus chère, 9,90 le volume. Il s’agissait de livres reliés, généralement en plusieurs tomes, qui pesaient un âne mort. La collection s’intitulait Le Patrimoine de l’Islam

et comprenait des rééditions d’œuvres d’auteurs classiques : vies du Prophète, commentaires du Coran, ouvrages de rhétorique, théologie, grammaire. Comme ces mastodontes avaient de belles tranches en similicuir calligraphiées en couleurs, ils servaient surtout à décorer les salons et salles à manger du quartier. Il faut dire que l’arabe d’il y a mille ans n’est pas ce qu’il y a de plus facile à lire. On vendait aussi des CD d’enregistrements du Coran, et même un DVD d’une encyclopédie coranique plutôt intéressante, puisqu’elle évitait de se coltiner les cinquante volumes de commentaires divers qu’elle contenait. Le rêve du libraire, quoi.

La Pensée était ouverte toute la journée, et ma librairie avec elle, mais il y avait peu de clients. Certains passaient parfois pour acheter un des titres que je n’avais pas le droit de mettre sur les tables. J’ai demandé au Cheikh Nouredine s’ils étaient interdits par la censure, il m’a dit bien sûr que non, ce sont juste des textes qui demandent une plus grande connaissance, qui pourraient être mal interprétés. Parmi eux se trouvait L’Islam contre le complot sioniste et des pamphlets de Sayyid Qotb.

Une de mes tâches (la plus agréable, de fait) consistait à m’occuper de la page web et du Facebook de l’association, de signaler les activités (par ailleurs peu nombreuses) ce qui me permettait d’avoir toute la journée accès à Internet. Je faisais mon travail sérieusement. Le Cheikh Nouredine était agréable, cultivé, sympathique. Il m’expliqua qu’il avait étudié la théorie en Arabie Saoudite et la pratique au Pakistan. Il me recommandait des lectures. Quand je me fatiguais du porno sur le web (un peu de péché ne fait de mal à personne) je passais des heures à lire, confortablement allongé sur les tapis ; petit à petit je me suis habitué à l’arabe classique, qui est une langue sublime, puissante, captivante, d’une richesse extraordinaire. Je passais des heures à découvrir les beautés du Coran à travers les grands commentateurs ; la simple complexité du Texte me laissait bouche bée. C’était un océan. Un océan de lumières. J’aimais imaginer le Prophète dans sa grotte, enveloppé dans son manteau, ou entouré de ses compagnons, en route pour la bataille. Penser que je reproduisais leurs gestes, répétais les phrases qu’ils avaient eux-mêmes psalmodiées m’aidait à supporter la prière, qui était tout de même un pensum interminable.

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Zone
Zone

LE POINT DE VUE DES ÉDITEURSPar une nuit décisive, un voyageur lourd de secrets prend le train de Milan pour Rome, muni d'un précieux viatique qu'il doit vendre le lendemain à un représentant du Vatican pour ensuite — si tout va bien — changer de vie. Quinze années d'activité comme agent de renseignements dans sa Zone (d'abord l'Algérie puis, progressivement, tout le Proche-Orient) ont livré à Francis Servain Mirkovic les noms et la mémoire de tous les acteurs de l'ombre (agitateurs et terroristes, marchands d'armes et trafiquants, commanditaires ou intermédiaires, cerveaux et exécutants, criminels de guerre en fuite…). Mais lui-même a accompli sa part de carnage lorsque la guerre en Croatie et en Bosnie l'a jeté dans le cycle enivrant de la violence.Trajet, réminiscences, aiguillages, aller-retour dans les arcanes de la colère des dieux. Zeus, Athéna aux yeux pers et Arès le furieux guident les souvenirs du passager de la nuit. Le train démarre et, avec lui, commence une immense phrase itérative, circulatoire et archéologique, qui explore l'espace-temps pour exhumer les tesselles de toutes les guerres méditerranéennes. Car peu à peu prend forme une fresque homérique où se mêlent bourreaux et victimes, héros et anonymes, peuples déportés ou génocidés, mercenaires et témoins, peintres et littérateurs, évangélistes et martyrs… Et aussi les Parques de sa vie intérieure : Intissar l'imaginaire, la paisible Marianne, la trop perspicace Stéphanie, la silencieuse Sashka…S'il fallait d'une image représenter la violence de tout un siècle, sans doute faudrait-il choisir un convoi, un transport d'armes, de troupes, d'hommes acheminés vers une œuvre de mort. Cinquante ans après La Modification de Michel Butor, le nouveau roman de Mathias Enard compose un palimpseste ferroviaire en vingt-quatre "chants" conduits d'un seul souffle et magistralement orchestrés, comme une Iliade de notre temps.Né en 1972, Mathias Enard a étudié le persan et l'arabe et fait de longs séjours au Moyen-Orient. Il vit à Barcelone. Il a publié deux romans chez Actes Sud : La Perfection du tir (2003) — Prix des cinq continents de la francophonie, 2004 — qui paraît en Babel, et Remonter l'Orénoque (2005). Ainsi que, chez Verticales, Bréviaire des artificiers (2007).

Матиас Энар

Современная русская и зарубежная проза
Rue des Voleurs
Rue des Voleurs

LE POINT DE VUE DES ÉDITEURSC'est un jeune Marocain de Tanger, un garçon sans histoire, un musulman passable, juste trop avide de liberté et d'épanouissement, dans une société peu libertaire. Au lycée, il a appris quelques bribes d'espagnol, assez de français pour se gaver de Série Noire. Il attend l'âge adulte en lorgnant les seins de sa cousine Meryem. C'est avec elle qu'il va "fauter", une fois et une seule. On les surprend : les coups pleuvent, le voici à la rue, sans foi ni loi.Commence alors une dérive qui l'amènera à servir les textes — et les morts — de manières inattendues, à confronter ses cauchemars au réel, à tutoyer l'amour et les projets d'exil.Dans Rue des Voleurs, roman à vif et sur le vif, l'auteur de Zone retrouve son territoire hypersensible à l'heure du Printemps arabe et des révoltes indignées. Tandis que la Méditerranée s'embrase, l'Europe vacille. Il faut toute la jeunesse, toute la naïveté, toute l'énergie du jeune Tangérois pour traverser sans rebrousser chemin le champ de bataille. Parcours d'un combattant sans cause, Rue des Voleurs est porté par le rêve d'improbables apaisements, dans un avenir d'avance confisqué, qu'éclairent pourtant la compagnie des livres, l'amour de l'écrit et l'affirmation d'un humanisme arabe.Mathias Énard est l'auteur de quatre romans chez Actes Sud : La Perfection du tir (2003, prix des Cinq Continents de la francophonie), Remonter l'Orénoque (2005 ; adapté au cinéma en 2012 par Marion Laine sous le titre À cœur ouvert avec Juliette Binoche et Edgar Ramirez), Zone (2008, prix Décembre 2008 ; prix du Livre Inter 2009) et Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants (2010, prix Goncourt des lycéens 2010).

Матиас Энар

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