Mon cher ange, ma chatte ch'erie. Je t’'ecris ces quelques lignes `a la h^ate pour t’informer de mon arriv'ee. J’ignorai que c’est aujourd’hui jour de poste et qu’il n’y en aura plus avant samedi. C’est donc `a samedi que je renvoie les d'etails. J’ai trouv'e, heureusement, `a mon arriv'ee `a Moscou ta ch`ere lettre qui m’avait pr'ec'ed'e. Il ne fallait pas moins pour me refaire des fatigues de l’atroce voyage que je venais d’accomplir. Mes parents, ma m`ere surtout me charge de mille tendresses pour toi. Elle m’a accabl'e des questions `a ton sujet et s’est de suite appropri'ee le portrait de Marie. Sais-tu bien qu’au moment o`u cette pauvre vieille excellente femme s’est jet'ee en sanglotant `a mon cou, le tout premier mot qu’elle m’ait dit a 'et'e pour m’annoncer qu’
Mais encore une fois, `a samedi dans quatre jours tu recevras ma lettre d’un volume satisfaisant, pour aujourd’hui je n’ai que le temps de fermer et de t’embrasser toi et les enfants. Ma chatte ch'erie, l’absence est une affreuse chose.
Москва. 11 июля. Вторник
Мой дорогой ангел, милая моя кисанька, пишу тебе эти несколько строк наспех, чтобы уведомить тебя о своем прибытии. Я не знал, что сегодня почтовый день и что следующий будет только в субботу. Итак — подробности откладываю до субботы. К счастью, в Москве меня ждало твое драгоценное письмо, оно меня опередило. Одно оно способно было развеять усталость от ужасного путешествия, которое я совершил. Родители мои, особенно маминька, поручают передать тебе сердечный поклон. Маминька засыпала меня вопросами о тебе и сразу же завладела портретом Мари. Представь себе, что когда эта добрая старушка, рыдая, бросилась мне на шею — первыми ее словами было,
Однако повторяю — до субботы. Через четыре дня ты получишь вполне удовлетворительное по объему письмо. А сейчас у меня есть время только на то, чтобы запечатать письмо и поцеловать тебя и детей. Милая кисанька моя, разлука — страшная вещь.
Тютчевой Эрн. Ф., 14/26 июля 1843*
Moscou. Ce 14 juillet
Ma chatte ch'erie, que ne suis-je d'ej`a `a la 4i`eme
page de ma lettre et que c’est un lourd poids sur ma pens'ee que cette horrible distance qui nous s'epare. Il me semble que j’ai tout un monde `a soulever pour pouvoir te parler. Voici de ta ch`ere 'ecriture sous ma main, sous mes yeux, et cette ch`ere main qui a trac'e ces caract`eres, que fait-elle en ce moment? L’absence pour qui sait la sentir est une 'enigme inexplicable.Hier, le 13, entre deux et trois heures de l’apr`es-midi, j’aurais beaucoup donn'e pour t’avoir `a mes c^ot'es. J’'etais au Kremlin. Que tu aurais go^ut'e et senti ce que s’offrait `a mes yeux en ce moment. J’en prends `a t'emoin Mr de Custine lui-m^eme qui certes n’est pas suspect. C’est un spectacle unique dans le monde. Je te renvoie au troisi`eme volume de son ouvrage, toi qui sympathises avec Prague, qu’aurais-tu dit du Kremlin.
De l`a je suis all'e visiter la maison qui a appartenu `a mon p`ere et o`u s’est 'ecoul'e toute ma premi`ere jeunesse*
. C’'etait comme un r^eve et comme je me suis senti vieux et us'e en m’'eveillant. Il a fallu me ressouvenir que je t’avais pour m’emp^echer de sentir mon coeur d'efaillir et se dissoudre. Mais il est absurde de chercher `a rendre ces impressions-l`a. Il y en a parfois de bien p'enibles. Chaque fois que je suis sur le point de revoir une personne connue, j’'eprouve une anxi'et'e indicible. Non, je ne me suis jamais imagin'e les ravages que vingt ann'ees op'eraient sur la pauvre machine humaine. Quel horrible sortil`ege. Des personnes dont l’aspect des localit'es avait aviv'e le souvenir en moi, au point que je m’imaginais ne les avoir quitt'ees que la veille, apparaissaient maintenant `a mes yeux `a peu pr`es m'econnaissables sous la fl'etrissure de l’^age. Ah l’horreur! Il m’est impossible de regarder toutes ces figures 'edent'ees, d'elabr'ees et pourtant si connues, sans croire `a quelque horrible sortil`ege. Hier encore j’ai eu un de ces 'echantillons sous les yeux. C’'etait mon ma^itre de langue russe* que j’avais laiss'e il y a vingt ans dans la force de l’^age et que j’ai retrouv'e avec une petite figure vieillette priv'e de presque toutes ses dents et grimacant pour ainsi dire sa physionomie d’autrefois. Je n’ai pu encore me remettre de la secousse. Et ai-je besoin de te dire qu’`a chaque secousse semblable mon coeur se serre et se rejette vers toi. Et toi aussi tu vieilliras. Et il me semble qu’en mon absence, tu es plus compl`etement, tu es plus irr'esistiblement livr'ee `a l’horrible action de cette maladie qui s’appelle le temps.