Ma pauvre chatte, que ne donnerais-je pas pour te revoir un seul petit instant. Combien cela me rassurerait.
Une fois les fant^omes 'ecart'es, je suis heureux de pouvoir te donner l’assurance que j’ai tout lieu de me f'eliciter de mon voyage. Tout s’arrange `a souhait et m^eme beaucoup mieux que je n’osais l’esp'erer. J’ai retrouv'e `a mon p`ere et `a ma m`ere leur vieille affection pour moi, vraiment touchante `a force de d'evouement et de r'esignation. Ils entrent dans toutes mes vues, dans toutes mes convenances, ils acceptent tout, ils se r'esignent `a tout. Quant aux affaires, voici l’arrangement que mon p`ere nous a propos'e. Il nous abandonne d`es `a pr'esent en toute propri'et'e les deux tiers de sa fortune, en nous assurant de repartir comme nous s’entendions entre nous le revenu des terres que nous poss'ederons en commun. Il va sans dire que comme mon fr`ere aura `a supporter toutes les charges et tout le poids de la gestion, je n’h'esiterai pas `a lui laisser la plus grosse part du revenu, les deux tiers, par exemple. Le tiers restant me vaudra bien toujours de 10 `a 12 mille roubles par an, au dire de ceux qui connaissent l’'etat de nos affaires. Cet arrangement d’ailleurs ne sera valable que jusqu’au moment de la succession d'efinitive*
, qui comme de raison sera r'egl'ee par un tout autre principe, celui du partage 'egal. Voil`a o`u nous en sommes. Ce qui reste `a faire pour compl'eter et consolider l’arrangement propos'e, ne sont que des questions de pure forme, bien faciles `a r'esoudre. L’essentiel maintenant d'ependra de la bonne volont'e et du savoir-faire de mon fr`ere. Pour le moment il me para^it anim'e des meilleures dispositions. Il se d'evoue `a passer toute une ann'ee et d’avantage, s’il le faut `a la campagne, sans d'esemparer. Il s’applique aussi `a modifier quelque facile la mani`ere d’^etre envers mon p`ere qui est assur'ement le meilleur des hommes. Et tu ne sentiras pas de vanit'e ou d’illusion, si je te dis que dans l’int'er^et de toutes ces conciliations ma pr'esence ici n’a 'et'e rien moins qu’inutile.Elle a eu un autre r'esultat qui n’est pas moins satisfaisant, c’est d’avoir redress'e mon opinion sur le compte du beau-fr`ere. Certes, je lui dois une amende honorable. Je l’avais mal jug'e! Cela tenait probablement aux circonstances d’alors et `a mon 'etat de sant'e. Bien loin d’^etre un intrigant, comme je le croyais alors, c’est un homme qui s’est perdu il y a deux ans aupr`es du gouvernement par un exc`es de franchise et d’ind'ependance dans le caract`ere*
. Il faudrait des d'etails `a l’appui de ce que je dis l`a, mais qu’il te suffise de savoir que dans ce moment-ci et pour les arrangements `a prendre sa conduite `a notre 'egard a 'et'e parfaite de tout point. Voil`a de bonnes nouvelles, n’est-ce pas?Adieu, ma chatte ch'erie. Je ferme pour le moment cette lettre sauf `a la continuer plus tard.
Москва. 14 июля
Милая моя кисанька, ах зачем я уже не на четвертой странице моего письма! Как тяжко гнетет мое сознание мысль о страшном расстоянии, разделяющем нас! Мне кажется, будто для того, чтобы говорить с тобою, я должен приподнять на себе целый мир. Вот у меня под рукою, перед глазами твой милый почерк, а любимая рука, что начертала эти буквы, — что делает она в эту минуту? Разлука представляется необъяснимой загадкой тому, кто умеет чувствовать.
Вчера, 13-го, между двумя и тремя часами пополудни я дорого дал бы за то, чтобы ты оказалась возле меня. Я был в Кремле. Как бы ты восхитилась и прониклась тем, что открывалось моему взору в тот миг! Беру в свидетели самого господина де Кюстина, которого, разумеется, нельзя заподозрить в пристрастии. Это единственное во всем мире зрелище. Отсылаю тебя к третьему тому его труда. Если тебе нравится Прага, то что же сказала бы ты о Кремле!